50 ans de lutte des Noirs du Québec, mais…
« Je vais vous passer le maillet en espérant que vous allez continuer », lance d’une voix tremblotante, Dan Philipp, 80 ans, président de la Ligue des Noirs du Québec (LNQ) depuis plus de 40 ans. Le militant des droits de la personne s’adressait à plus d’une centaine de Noirs et Blancs réunis à l’occasion du gala des 50 ans de la LNQ dans le quartier Mont-Royal, samedi soir dernier.
Installé au Québec en 1973, la LNQ créée en 1969, n’avait que 4 ans d’existence lorsqu’il en fait la connaissance. Mais très vite, ce Saint-Lucien (dans les Antilles) embrasse la lutte contre le racisme et la discrimination dans la province pour en avoir vécu lui aussi.
« Je ne peux pas dire beaucoup, mais j’ai vécu certaines choses », dit-il avec retenu lors d’une entrevue à In Texto. Et depuis, il a gagné des batailles en faveur des chauffeurs de taxi, contre la brutalité policière entre autres.
« Malgré tout, il était toujours favorable au dialogue, ouvert à travailler avec la société », relève Louise Harel, l’ancienne président de l’Assemblée nationale qui prenait part au gala.
Avant de quitter le militantisme, Dan Philipp n’a pas manqué de souligner le recours collectif autorisé, en août dernier, par le juge André Provost, de la Cour supérieure, contre la Ville de Montréal pour profilage racial, ce qui représente selon le début d’une grande victoire.
Alexandre Lamontagne, d’origine haïtienne, est le plaignant principal dans cette affaire. Il affirme avoir été détenu par erreur en août 2017.
Cette action en justice est ouverte à tous ceux qui ont subi de la violence physique de la part de la police entre le 14 août 2017 et le 11 janvier 2019 mais aussi à ceux qui ont subi une agression non physique entre le 11 juillet 2018 et le 11 janvier 2019.
«Il faut bouger. Il faut déranger la société. Nous ne pouvons pas rester tranquille et penser que les choses vont changer.», lance M.Philipp citant le syndicaliste québécois Gérald Larose, présent au gala du 50e.
« Nous ne devons pas toujours demander : qu’est-ce que vous avez pour nous? Nous devons dire que : ça nous appartient et nous allons l’avoir », ajoute le militant dans une allusion aux droits de la personne humaine.
S’il reconnait que « certaines choses ont changé » depuis 50 ans, Dan Philipp affirme que la guerre reste à gagner. De la Ville de Montréal ou du gouvernement du Québec, il n’est «absolument pas» satisfait.
Pourtant, c’est la seule ville canadienne qui, à travers une motion depuis une dizaine d’années, souligne l’abolition de la traite transatlantique (23 août).
Il déplore le fait que les autorités ne fassent pas assez d’efforts pour informer et sensibiliser la population en général sur l’esclavage qui a eu lieu même ici au Québec, ce que dénonce également Marvin Rotrand, conseiller de l’arrondissement Côtes-des-Neiges, à Montréal.
- De 1760 à 1800, selon les calculs de l’historien Frank Mackey, il y avait pas moins de 400 esclaves à Montréal, incluant des enfants.
- Au moment où l’esclavage y atteint son pic, on compte environ 4 200 esclaves en Nouvelle‑France, dont 2 700 Autochtones, maintenus en esclavage jusqu’en 1783, et au moins 1 433 Noirs pour lesquels cette condition perdurera de la fin du XVIIe siècle jusqu’en 1831, rapporte le site Internet « L’encyclopédie canadienne ».
En dépit de certaines avancées significatives, la LNQ déplore que les Noirs soient encore victimes de discrimination en emploi, au logement ou soient profilés par la police.
Le dernier rapport sur le profilage racial au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) l’indique clairement : les Noirs, les Aabes et les Autochtones sont quatre fois plus susceptibles d’être interpellés par les policiers.
« 50 ans, c’est important. Mais il y a encore des lutes à gagner », croit le conseiller du district de Snowdon, Marvin Rotrand, qui siège au conseil municipal de la Ville de Montréal depuis 1982.
Maka Koto, d’origine camerounaise (Afrique) et ancien ministre québécois de la Culture, invite pour sa part les communautés noires à ne pas se faire d’illusion par rapport à la lutte.
« Ça va être là encore 100 ans », prévient-il. Car, « l’homme a toujours été un loup pour l’homme », argumente l’ancien député péquiste lorsqu’on lui demande : pourquoi?
La juge Wanita Westmoreland, à la retraite aujourd’hui, et qui militait avant d’accéder à la magistrature aux côtés de Dan Philipp, estime que l’impact de la discrimination est mieux connu.
Les politiques tentent d’apporter certaines réponses également exprime-t-elle dans un documentaire sur les 50 ans de la LNQ, à paraitre bientôt.
« Toutefois dans la réalité, il y a toujours des incidents qui se produisent malgré des rapports de la Commission des droits de la personne, des jugements, la question n’est pas réglée. Il y a encore des efforts à faire »-W. Westmoreland-Traoré.
Ils ont dit
« Nous, à la ligue, nous avons toujours des difficultés et les gens disent n’importe quoi sur nous »- D Philipp
« Le SPVM n’est pas représentative de la population montréalaise »- Marvin Rotrand qui lutte pour cette cause depuis 2007
« Nous sommes visibles, mais notre contribution à la construction de la société reste invisibles »-D. Philipp.
La Ligue des Noirs
La Ligue des Noirs du Québec est un organisme à but non lucratif qui est issue de la Ligue des Noirs du Canada en 1969 pour défendre les droits de la personne et la justice sociale.
La Ligue des Noirs du Québec offre des services gratuits de clinique légale qui vise à aider les victimes à monter leurs dossiers judiciaires, et les accompagner dans leurs démarches.
Des services d’insertion en emploi des jeunes et de défense des droits de la personne sont offerts aussi.
Pour en savoir plus https://liguedesnoirs.org/