L’aveugle qui voit à travers la musique
Atteint de cécité dès la naissance, le chanteur et accordéoniste, éducateur de formation, Joe Jack n’avait que la musique «comme voix de communication avec les autres» après avoir vécu une enfance triste, trop difficile et parsemée d’embuches dans les années 30-40 en Haïti.
Né en mai 1936, aux Gonaïves, le jeune Joseph Jacques, de vrai nom, est envoyé, à 5 ans, à l’école, muni d’un livre pour voyant.
«À force de passer les mains sur les pages pour découvrir le mystère des lettres, le livre fut réduit en lambeaux», écrit-il dans «L’aveugle aux mille destins», son livre biographique paru aux éditions Mémoire d’encrier en 2010 (156 pages).
Un an à l’école à ronger sa soif d’apprendre, Joseph est malheureux. Ses parents mettent fin à l’école classique, l’année suivante. Mais le jeune Joseph était toujours «amba bouch», écoutait aux portes lorsque ses cousins répétaient à haute voix leur leçons.
«C’est ainsi que je connaissais des tranches d’histoire d’Haïti par cœur bien avant ma scolarisation. J’étais malheureux de savoir que mes frères, mes cousins, mes amis étaient scolarisés, mais moi je ne savais rien»- J.Jack
Une bouteille, comme livre
Devant son envie démesurée d’apprendre à lire, un de ses cousins tente les moyens du bord pour l’aider. Il utilise une bouteille en relief qui permet au jeune non-voyant de voir à partir du toucher.
• «Je pouvais y lire One gallon sur la bouteille», se souvient l’homme de 82 ans aujourd’hui.
C’est un article publié dans le journal Le Matin de l’époque qui allait sauver cet esprit brillant, mais qui était l’objet de railleries de toute sorte dans sa ville natale.
L’article résumait une conférence de Jean Sorel sur les non-voyants, prononcée à l’Institut français à Port-au-Prince. Son père, Marceau Jacques, entre immédiatement en contact avec M. Sorel qui lui envoie son premier livre en braille. Le même cousin lui apprend à déchiffrer le livre grâce au mode d’emploi.
«Après m’avoir montré la méthode, quelques mois plus tard il l’avait oubliée. Mais moi, je continuais à progresser là-dedans». Finalement, à 13 ans Joseph Jacques est envoyé à l’École Saint-Vincent pour enfants handicapés, de P-au-P, tenue par des missionnaires américains afin de débuter son primaire.
Il obtient son certificat trois plus tard. «Je n’étais pas plus intelligent que les autres, dit-il humblement, mais j’étais plutôt pressé et je travaillais 10 fois plus qu’eux.» Trois plus tard il termine son secondaire également et part pour les États-Unis où il réalise des études en Éducation spécialisée.
Joe retourne en Haïti toute de suite après pour enseigner à la même école qui a sauvé sa belle tête. Il y consacra 11 ans de sa vie à enseigner les mathématiques aussi bien que les langues vivantes. Le chanteur s’exprime couramment en français, en anglais, en espagnol et en créole.
La musique pour communiquer
Bien avant de débuter, avec l’école vers l’adolescence, Joe pianotait chez son grand-père qui le laisser faire quelque notes.
• «La musique est pour moi une voix de communication avec les autres, dit-il, c’était aussi une façon de montrer que malgré ma cécité, j’avais un cœur et une âme capable de communiquer avec n’importe qui»
Avant de devenir « Joe Jack, l’homme orchestre », Joseph a monté « Les 4 cloches » avec trois autres amis, atteints de cécité également. «Mais cela n’avait pas fonctionné bien.»
C’est Menio, un accordéoniste qu’il adulait dans le temps qui l’a inspiré lors d’un spectacle au cours duquel il était invité à jouer un morceau.
« Une idée m’est passée par la tête de chanter en même temps et il y a eu un tonnerre d’applaudissement et c’est là que j’ai compris. Nous sommes dans les années 70. Joe Jack part pour les États-Unis où il tombe sur un accordéon avec du rythme intégré. Un bon ami lui prête l’argent (1800 dollars) pour en faire l’acquisition.
Et l’homme orchestre est né. Il produit ensuite l’album « Love story » et bien d’autres. Parmi ses chansons à succès, on parle de « Timidité, Entre te voir et t’aimer, Ti profesè lékol ou encore Comme un oiseau, je reste enfermé dans ma petite cage.»
Joe Jack a quatre enfants dont trois avec sa première femme. Il vit à Montréal depuis 34 ans.
• «Je suis rentré ici de New York le vendredi 5 octobre 1984 à 5h du matin dans un Wolkswagen»- J.J
Il a dit
« J’entretiens un amour-haine avec Haïti, mais un amour indéfectible »
« Si je n’étais pas aveugle, je serais un scientifique dans le domaine de la physique ou autres »
Joe Jack s’informe sur tout ce qui se passe au pays grâce à son ordinateur. Depuis les années 2000 il ne lit plus l’écriture braille. Tous ses livres sont téléchargés sur son ordi qui est devenu un de ses meilleurs amis.
Cet article est produit dans le cadre du premier anniversaire de PasserElle Productions, le 27 octobre prochain. Un hommage sera rendu à Joe Jack (Joseph Jacques). Un spectacle a lieu au 3737 Crémazie est, à Montréal, cette date, au prix de 50 dollars. Un souper est inclu. Billets en vente chez Michel studio, Méli Mélo, Centre des arts de la scène. Infos et billetterie: 5142342330