Canada/Haïti: des centaines de vies sur pause
«On se sent mal. Ça fait une boule d’angoisse.», lâche, sanglot dans la voix, Amandine (nom fictif) qui devait quitter le Canada ce 28 novembre avec sa fille, son mari (Jacques, un autre nom fictif) et dont la déportation a été reportée sine die.
Cette famille est arrivée d’Haïti en novembre 2016 en passant par les États-Unis comme de nombreux Haïtiens, demandeurs d’asile. Leur demande a été rejetée en janvier 2018 à la suite d’une audience de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés (CISR) et, le 6 novembre dernier, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC leur a fixé la date de 28 pour quitter le Canada.
« J’étais au bureau, en train de faire des adieux à tout le monde lorsque j’ai reçu un appel à 15h 20, pour être précis, d’un agent de l’ASFC qui m’a annoncé que je ne devais pas me présenter à l’aéroport », se souvient Jacques qui travaille comme vendeur chez une compagnie de téléphonie céllulaire depuis plusieurs mois.
«Je lui ai demandé est-ce qu’il y a une autre date. Elle m’a dit : on va vous contacter.», dit-il.
« Au besoin »
Plusieurs autres Haïtiens confirment à In Texto avoir reçu, cette semaine encore, des appels en ce sens. Si l’ASFC avait fixé un premier délai d’une semaine (soit du 18 au 25 novembre dernier), un nouveau report des renvois semble être en place et cette fois sans aucune limite de temps.
«Bien qu’aucun sursis administratif aux renvois ne soit en place pour Haïti, l’ASFC, en consultation avec Affaires mondiales Canada et d’autres ministères gouvernementaux, continue de surveiller les conditions dans ce pays et prendra les mesures appropriées, y compris fixer une nouvelle date pour les renvois prévus, au besoin.», indique Jayden Robertson, porte-parole l’Agence des services frontaliers du Canada, dans un courriel au journal.
Pourtant, Ottawa se dit préoccupé par la situation de violences en Haïti. Lisez les déclarations des ministres des Affaires étrangères et celle du Développement international
• Quelque 18 000 personnes seraient actuellement en attente d’un renvoi du Canada.
• Selon les données de Radio-Canada, le nombre annuel d’étrangers expulsés du Canada a glissé de 18 987 en 2012 à 8472 l’an dernier.
• Ottawa prévoit expulser 10 000 personnes au cours de l’exercice 2018/2019
Entretemps, le couple (Amandine et Jacques) est dans l’expectative, dans l’incertitude de savoir s’il « va rester ou pas », ce qui occasionne un stress énorme pour cette famille.
« On passe des nuits blanches sans sommeil, on ne mange pas, on ne travaille pas bien. Tout le monde remarque le stress autour de nous au travail», confie Amandine qui travaille pour une entreprise qui fait dans les produits isolants thermiques et acoustiques.
En outre, elle souligne que cela a même des répercussions sur sa fille qui ressent, elle aussi, cette tension à la maison.
«À la garderie on nous a dit qu’elle est devenue agressive avec ses camarades, ce qu’elle ne faisait pas avant», note la mère.
Installée à Montréal-Nord depuis plus de 18 mois, le couple avait pris les dispositions pour refiler leur appartement, vendre ou retourner leur voiture qui est sous financement de la banque, bazarder leurs biens et meubles : Ils doivent tout annuler.
Écoutez Amandine ( nom fictif)
« Vie menacée »
Pour combien de temps? C’est la question à un million de dollars. «On attend, dit Amandine avec une pause dans la voix, on ne sait pas si on va rester ou pas. Ils ont le pouvoir sur ta vie, puis ils décident…parce ce sont nos vies…. »
«Monsieur le président, la vie de tous les Haïtiens que le Canada va renvoyer en Haïti dans les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois, est menacée. C’est aussi simple que ça.», balance Mario Beaulieu le député de la Pointe-de-l’Île le mardi 27 novembre dernier à la Chambre des Communes.
Son parti, le Bloc québécois, avait présenté, une semaine avant, une motion demandant que le Canada applique un moratoire sur Haïti «tant et aussi longtemps que la situation ne sera pas jugée sécuritaire» par Affaires mondiales Canada.
Les libéraux au pouvoir à Ottawa avaient refusé d’entériner la motion en question.
« Il faut être responsable. Je demande au ministre de la Sécurité publique et à son collègue de l’Immigration : Ne jouez pas avec la vie des Haïtiens.», déclare le député Beaulieu.
Le député de la Pointe-de l’Île est convaincu d’une chose : « Haïti n’est pas sûr. » Selon lui, le risque que quelqu’un qui a été déporté soit victime des violences qui sévissent dans ce pays est très élevé.
« N’attendons pas qu’il soit trop tard. »– Mario Beaulieu.
La Concertation haïtienne pour les migrants, un regroupement de plus de 40 organismes de la communauté plaide également en faveur de la mise en place d’un moratoire.