L’embaumeur des Noirs et des pauvres

Sidéens, Noirs, fœtus rejetés par les hôpitaux, morts accidentés graves, Claude Poirier, du salon funéraire Magnus, accompagne avec dignité et humanité plus de 3500 familles par année dans leur épreuve de décès, loin de toute discrimination
Au début des années 80 (soit 1981), Mike Gottlieb dans le Morbidity Mortality Weekly Report avait évoqué la très grande fréquence de la maladie du sida parmi les immigrés haïtiens aux États-Unis.
On avait alors spéculé que la nouvelle maladie mystérieuse des 4H (Haïtiens, homosexuels, hémophiles, héroïnomanes) pouvait avoir comme origine l’île d’Haïti, ce qui avait des incidences sur les funérailles des membres de la communauté haïtienne à Montréal.
«À l’époque, dès que la famille était noire et que la personne décédait du sida, les salons funéraires disaient : Non, on n’en fait pas. Allez chez Poirier»
Ce fut le début des contacts plus serrés de l’entreprise familiale (de cinq générations depuis 1923) avec la communauté haïtienne de Montréal.
Funérailles sans le sou
Outre les sidéens, en collaboration avec la Maison d’Hérelle, Magnus Poirier offrent également certains services gratuits pour des bébés décédés, parfois prématurément, et ce à travers plusieurs hôpitaux de Montréal. Anciennement, les centres hospitaliers reconnaissaient ces fœtus comme des déchets bio-médicaux, n’ayant pas atteint le nombre de grammes et de semaines requis.
« Pour les parents, ce ne sont pas des déchets, souligne M. Poirier, l’espace on l’a et ce n’est pas un coup de pelle qui va changer grand-chose pour nous. Et l’employé, on l’a pareil »
Le cimetière de Magnus Poirier s’étend sur près de deux kilomètres entre Montréal et Laval pour un total de 6 grandes succursales aujourd’hui. Il y en avait une quinzaine au total. Mais pour des raisons d’efficacité, l’entreprise une demi-douzaine de grands centres.
Le concept de pénétration du marché funéraire chez les Poirier consiste à diviser l’île en plusieurs parties.
Et Claude Poirier, par son entregent, son aisance avec les différentes communautés culturelles, se voit confier Montréal-Nord qui regorge d’Haïtiens mais aussi de nombreuses ethnies.
Il siégeait déjà sur une quinzaine de Conseils d’administration comme la Fondation de l’hôpital Marie-Clarac, Le CLSC, le Richelieu International , mais le spécialiste de l’embaumement trouve le temps de s’asseoir au sein du CA de la Maison des jeunes Louverture, un organisme communautaire haïtien de Montréal-Nord.
Avec Félix Saint-Élien, il va goûter pour la première fois au griot et aux différents mets créoles et pénétrer le marché haïtien des funérailles par « l’implication sociale », le bénévolat, l’entraide.
Entre misère et modernité
Ces valeurs d’humanité se sont manifestées dès l’âge de 5 ans chez le jeune Poirier lorsqu’il intègre les Louveteaux comme scout. Il suivait son père également dans ses activités comme président de la Croix-Rouge locale, du Mouvement Richelieu ou d’autres œuvres de charité et de solidarité.
« Cela m’a appris à travailler avec du monde, à ne pas faire de distinction entre un pauvre et un riche, à comprendre certaines misères »
Claude Poirier a été élevé à califourchon entre Montréal et Chénéville ( Outaouais) sur des terres agricoles «mais des terres de misère » tenues sa grand-mère maternelle. La tonte de gazon, l’abattage, l’agriculture, tout se faisait à l’aide de chevaux, comme locomotive.
Le jeune Claude passait six mois par année, après l’école, dans la maison familiale faite de troncs d’arbre taillés et superposés, sans eau courante, ni électricité et avec une bécosse munie de papiers de journaux dans le fin fonds du jardin, pour les besoins.

« Mes débuts de vie furent très modeste »-C. Poirier
Gravir les échelons
Il suit son père, tout émerveillé, dans la thanatologie dès l’adolescence en lui passant les instruments. Il prépare ses solutions et il lui arrivait de maquiller les défunts aussi.
À 15 ans, le jeune Claude est de prime abord porteur aux salons de l’hôpital Notre-Dame de la Merci, de l’hôpital St-Charles Borromée ainsi que lors des funérailles des religieuses de plusieurs missions à Montréal.
L’adolescent effectue en outre l’entretien des voitures, des salons, les transports des défunts…,et il monte la garde comme préposé principalement au salon de la rue Rosemont, de Saint-Laurent nord et sud entre autres.
Il fait aussi dans la démolition, les débosselages, la peinture de véhicules jusqu’à l’embaumement comme son père. Le jeune Poirier se spécialise dans les cas accidentés graves, devient enseignant de la discipline avant de passer à la direction de Magnus Poirier entre 2005- et 2009.
Il est, malgré son emploi du temps chargé, de toutes les causes sociales, « incapable de dire non». Et Claude Poirier donne de son temps surtout en plus de son argent.
Invité à prononcer une conférence, voilà quelques années, à un Club optimiste tenu par des personnes défavorisées dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, Claude Poirier en est sorti marquer à jamais par la grandeur d’âme de gens déshérités qui veulent redonner à l’humanité.
Les optimistes lui font cadeau un stylo à bille dont il ne reste plus d’encre mais qu’il garde, dans un coin de son bureau, comme les prunelles de ses yeux.
« Quand je vais décéder, je veux qu’il me suive, dit-il en tapant l’index sur la table, c’est mon bien le plus important »
Depuis plusieurs années, Magnus Poirier travaille en collaboration avec Pax Villa en Haïti et avec plusieurs autres salons à travers le monde comme en Algérie.
- En 1960, le personnel total est de 13 plus une dizaine de partiels…
Aujourd’hui près de 200 employés
- En 1966, 350 funérailles…
Aujourd’hui 3500
- 1960, salaire: 10$ pour 3 jours de garde pour 30 heures.
Aujourd’hui 16$ de l’heure pour un préposé
Depuis 1987, Magnus Poirier dispense des cours de formation à son personnel pour lui permettre d’atteindre de son objectif de carrière. Il est question de favoriser une relève de la main d’oeuvre par l’interne, ce qui permet à l’entreprise de croître.
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2 Comments on “L’embaumeur des Noirs et des pauvres”
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Bravo !
Félicitations Claude