Profilage racial ou «abus de pouvoir » à Laval?
Une juge de la Cour municipale a statué que deux policiers de Laval ont abusé de leur pouvoir et violé les droits constitutionnels d’un homme noir, handicapé en le harcelant, en se moquant de lui et en lui donnant un billet de contravention de 77 dollars pour « insultes à des policiers dans l’exercice de leurs fonctions » mais a écarté la thèse de profilage dans son jugement arguant qu’elle n’a pas la « compétence » pour traiter cet aspect de la plainte.
Dans une décision rendue le 21 février dernier, la juge Chantal Paré a rejeté l’accusation pénale portée contre Pradel Content, et a « ordonné l’arrêt des procédures » contre lui. En ce qui a trait au profilage, la juge Paré renvoie le plaignant devant la Commission de déontologie policière.
« …la preuve ne permet pas de conclure à du profilage racial. Aucun comportement ou parole pouvant s’y apparenter n’est démontré (âge, race). », écrit la juge Paré
Intimidé dans son entrée
Le cas remonte au mois de juillet 2018. Alors que M.Content discute avec ses voisins devant sa résidence, vers 23h00, une voiture de police débarque. Ayant été souvent interpellé et harcelé par la police de Laval, M.Content sort, par précaution, son téléphone portable pour filmer les policiers.
Les deux policiers projettent de puissants phares allumés en direction de Pradel Content, l’aveuglant et lui demandent sarcastiquement, en français, s’il a un problème avec son téléphone. Un échange s’ensuit au cours duquel M. Content fait valoir, en anglais, la protection de ses droits constitutionnels. Les policiers lui répondent par des sarcasmes et des moqueries.
Finalement, les agents quittent les lieux et M.Content lance le mot «Bitch» d’un ton exaspéré. Une semaine plus tard, M. Content reçoit, par la poste, un billet pour avoir insulté un policier.
« Connu » des policiers?
Le constat d’infraction ainsi que le rapport de police, tel que rédigés dénotent que les policiers établissait, depuis quelques temps un profil de l’homme.
À la section « A » du constat d’infraction sont inscrits le numéro de permis de conduire du contrevenant et la mention « SUJET CONNU ».
Or, écrit la juge Paré, la vidéo déposée en preuve par Pradel Content « montre que les agents, en aucun moment, ne sortent de leur véhicule patrouille. Ils quittent sans avoir recueilli les informations quant à l’identité de l’individu. »
Dans le cadre de ce jugement, la Cour municipale de Laval s’interroge sur plusieurs aspects de la cause.
- « Y’a-t-il eu profilage racial et/ou violations des droits constitutionnels du défendeur prévus à l’article 7 de la Charte? »
- Dans l’affirmative, quel est le remède approprié?
- Dans la négative, les policiers sont-ils dans l’exécution de leurs fonctions au moment de l’injure?
La juge Chantal Paré s’est de prime abord exercée à camper une définition du profilage dans son jugement calquée sur celle du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sur la question et qui date.
« Le profilage racial peut se définir comme le comportement de personnes, en situation d’autorité, qui agissent en se fondant sur des préjugés : « […] voulant que certains genres de délits soient reliés aux individus appartenant à des groupes ethniques en particulier […] ».
« Le Service de police de la Ville de Montréal, aux fins de ses interventions, en retient une définition qui veut que « […] toute action […] qui repose essentiellement sur des facteurs tels que la race […] soit du profilage racial. »
La juge en vient à la conclusion que «la preuve ne permet pas de conclure à du profilage racial, ce que déplore le défendeur et le Centre de recherche action sur les relations raciales (CRARR) .
« Erreur »
Pradel Content se dit «heureux» que les deux policiers de Laval aient été blâmés par la Cour.
«Cependant, je suis déçu que la Cour ait rejeté le profilage racial. Il n’y a pas eu de discussion à ce sujet lors de mon procès et donc je ne comprend pas comment elle en est arrivée à cette conclusion»–P. Content
Fo Niemi, du Centre de recherche action sur les relations raciales (CRARR), exprime son désenchantement également face au fait que la Cour ne retienne pas la thèse de profilage racial dans le jugement et parle d’ «erreur».
Pour M.Niemi cette définition du profilage racial, selon laquelle un acte doit être «essentiellement » basé sur la race, ” évoquée par la juge Paré citant le SPVM, est « caduque »
Il souligne que la « Cour suprême a clarifié le fait que pour prouver la discrimination ou le profilage, il suffit que la race soit un facteur » et promet d’en appeler, du moins sur cet aspect .
«Nous considérons faire appel sur ce point afin d’éviter qu’une définition erronée du profilage racial ne fasse jurisprudence »- Fo Niemi.
Voici comment le SPVM définit actuellement le profilage racial sur son site Internet.
« Action prise pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public par une ou des personnes en situation d’autorité. Cette action vise une personne ou un groupe de personnes selon des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, tels la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion. L’action, posée sans motif réel ou soupçon raisonnable, expose la personne visée à un examen ou à un traitement différentiel. »- définition officielle du profilage »
Nulle part, il n’est fait mention du terme « essentiellement » dans le processus de qualification du profilage racial.