La 1ère juge noire au Québec discriminée
À l’occasion de la 20e Semaine d’actions contre le racisme au Québec, la juge à la retraite Juanita Westmorland-Traoré brise la règle qui veut que «les juges ne commentent pas leur propre décision» lors d’une conférence prononcée, le 22 mars dernier, à la Maison d’Haïti, dans Saint-Michel.
Invitée à discuter de racisme et de profilage racial, l’avocate de carrière devenue juge à la Cour du Québec, en 1999, a révélé qu’elle avait fait l’objet de critiques acerbes de la part d’un membre de sa corporation en raison de son jugement de l’affaire Campbell.
C’était lors d’une assemblée de formation autour du «Contexte social et diversité ethnoculturelle» réunissant plus de 200 juges.
«Il m’a dit que si j’avais prononcé ce jugement c’est parce que j’étais d’origine africaine.»
J. W-Traoré.
Mme Traoré est née à Verdun, à Montréal, de parents qui viennent de la Guyane dans les Caraïbes, ce qui fait d’elle, en effet, une Afro descendante.
« Ça m’a fait beaucoup réfléchir. Ça m’a contrariée »- J. W-Traoré
En avril 2004, alors qu’il était en taxi, Alexer Campbell, un jeune Noir du quartier de Côte-des-Neiges, est pris en chasse par une patrouille du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) rien que parce qu’il penchait la tête pour regarder les agents, en auto eux aussi.
Une fois descendu du taxi, les policiers tentent de l’intercepter et Campbell prend la fuite avant d’être arrêté et accusé de « possession de drogue » (1,52 gramme de marijuana, une balance électronique et 175 $ et 26 grammes de crack)
Son avocat plaide le profilage racial, ce avec quoi la juge est d’accord.
Dans son jugement, en février 2005, dans lequel elle a acquitté le jeune Campbell, Juanita Westmoreland-Traoré écrit : «dans un contexte de relations entre policiers et membres de groupes minoritaires, la fuite est l’expression d’une méfiance. » Et elle ajoute que «Si une personne sent que ses droits sont ignorés, elle est en droit de ne pas coopérer».
Un autre juge blanc
Ce fut le premier cas de profilage racial reconnu par les tribunaux au Québec malgré le fait que le phénomène ne date pas d’hier.
Une « Enquête sur les relations entre les corps policiers et les minorités visibles et ethniques », menée en 1988, avait permis d’établir les attitudes discriminatoires de certains policiers: abus de pouvoir, arrogance, propos racistes, détention abusive et injustifiée, harcèlement, perquisitions sans mandat.
Depuis l’affaire Campbell, il a fallu attendre six ans plus tard pour qu’un autre juge, Randall Richmond, d’origine caucasienne cette fois, de la Cour municipale de Montréal, condamne de nouveau la police de Montréal pour un cas de profilage racial dans l’affaire Gelin.
On est le 15 avril 2011, Donat Geline, 20 ans, accompagné de deux amis, quitte un bar de danseuses dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal. Des agents de l’escouade Éclipse du SPVM les prennent en filature et les interceptent quelques rues plus loin.
Donat Gelin, assis sur le siège passager avant, refuse de donner une pièce d’identité. Un troisième policier arrive ensuite sur les lieux et ouvre la portière. Le jeune homme la referme et celle-ci «heurte la jambe de l’agent», qui le «met en état d’arrestation pour voies de fait».
« Ce genre d’intervention est susceptible de laisser à ses victimes l’impression qu’elles ne sont pas traitées comme les autres personnes et que notre justice pénale est discriminatoire», écrit le Juge Randall Richmond dans sa décision d’acquitter le jeune Gelin.
L’honorable Juanita Westmoreland-Traoré, est la première personne noire à accéder à la magistrature au Québec en 1999 (Cour du Québec).
Diplômée de la Faculté de droit de l’Université de Montréal en 1966, madame la juge Westmoreland-Traoré détient également un baccalauréat ès arts du Collège Marianopolis, en plus d’un doctorat d’État en droit public et sciences administratives de l’Université de Paris II.
Avant sa nomination comme juge, elle a travaillé dans plusieurs cabinets d’avocats, siégé au sein de plusieurs organismes comme l’Office de protection des consommateurs du Québec, la Commission canadienne des droits, le Congrès des femmes noires du Canada où elle fut conseillère légale et le Centre communautaire des noirs, en plus d’avoir été doyenne de la Faculté de droit de l’Université de Windsor.
« Délicat de nommer » des Noirs
Le problème de représentativité des minorités visibles est criant dans de nombreux domaines au Québec. Dans le système judiciaire, la problématique est encore plus remarquée.
Selon Juanita W-Traoré, la corporation serait extrêmement réticente à accueillir plus de personnes de race noire. Voilà quelques années, elle participe à une formation, patronnée par l’Institut de la magistrature. Un professeur lui laisse entendre un commentaire négatif sur la présence des Noirs dans le système.
«Il m’a dit : c’était délicat de nommer des personnes des minorités à la magistrature parce que ces gens seraient tiraillés par les intérêts de leurs communautés.»
Juanita Westmoreland-Traoré
« J’étais très offusquée », ajoute-elle.
Très engagée dans la lutte contre la discrimination et unique étudiante noire de sa promotion (1966), elle a reçu le prix Droits et Libertés de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse en 2008.
Madame la juge Westmoreland-Traoré se retrouve à être, tant par ses accomplissements que par son caractère, une figure exemplaire pour la communauté noire, mais aussi pour l’ensemble de la communauté juridique canadienne selon la faculté de Droit de l’Université de Montréal (UdeM)
Elle a reçu en 1991, les honneurs de l’Ordre national du Québec pour l’ensemble de son travail.
Elle a dit
« La raison d’être des droits fondamentaux est justement de protéger les droits des minorités ».
« Nous sommes devant des projets de loi qui vont nous amener à nous prononcer » (… loi sur la laïcité…) et la loi-17 sur le transport rémunéré de personnes.
« Être politicien et être premier ministre sont deux choses différentes. Les personnes en autorité ont une responsabilité ».