Immigration: «les régions du Québec ne sont pas prêtes»
Employeurs mal informés, absence de place en garderie, logement non disponible, les freins à l’intégration des immigrants en région sont légions souligne la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), regroupant plus de 150 organismes.
Dans un Mémoire déposé au ministère québécois de l’Immigration, il y a une semaine, Eva Lopez, responsable de la TCRI, remet en question l’approche régionaliste du gouvernement caquiste dans la refonte du système.
« On ne peut pas parachuter un nombre important d’immigrants pour venir combler des emplois sans que le milieu soit prêt à accueillir ces gens », dénonce Me Lopez en entrevue à In Texto.
Pour elle, les autorités devaient s’atteler à expliquer aux employeurs et aux syndicats la raison de cette approche. Elle dit craindre que la régionalisation finisse par « banaliser » l’immigration au bout du compte.
Interrogée sur le Parcours d’accompagnement de la personne immigrante (un programme de 20 millions mis sur pied par le gouvernement), Eva Lopez dit saluer l’initiative qu’elle juge « louable ».
Mais elle fait une mise en garde sérieuse aux caquistes quant à la réussite de cette approche.
« Il ne faut pas le voir comme une formule magique où tout le monde va comprendre l’échelle des valeurs du Québec et que tout le monde va être en harmonie. Ce n’est pas la réalité de terrain.»
Eva Lopez
En réalité, dit-elle, c’est que certaines cultures, ici au Québec, sont « écartées des valeurs québécoises », qu’il y ait encore d’importantes « contraintes à l’intégration » et qu’il faudra adapter les services, entre autres.
Dans le document déposé dans le cadre de la Commission parlementaire sur l’immigration, la responsable de la TCRI déplore le fait que le coté humain de la régionalisation de l’immigration ne soit pas pris en compte dans le plan du gouvernement.
Mme Lopez rappelle que les ouvriers recherchés pour des emplois masculins en vue de revamper l’économie des régions ne sont pas autorisés à venir avec leur famille, ce qui « pose un problème moral et social » et qui a des conséquences sur la performance du travailleur et même sa rétention.
« S’il n’est pas bien et si sa famille va mal à cause de son absence, la personne quitte », constate Eva Lopez sur le terrain.
« Le côté humain de la personne immigrante n’est pas considéré, dit-elle, la personne immigrante est considérée comme une pièce du puzzle qui va permettre d’améliorer l’économie en région mais, ce n’est pas seulement ça une personne immigrante.»
Par ailleurs, la TCRI se dit préoccupée par un risque que le système, tel que conçu aujourd’hui, favorise une immigration blanche et francophone au dépens des communautés noire et maghrébine.
En effet, Arima, un programme en ligne permet à des employeurs de faire des offres d’emploi, sur la base de leur compétence et en fonction de celles recherchées par ces derniers, à des immigrants depuis l’étranger.
Et c’est sur cette base que le ministère va sélectionner les nouveaux arrivants à partir de février 2020.
« On risque, inconsciemment de sélectionner des gens qui nous ressemble, des gens blancs francophones, au détriment des autres cultures.», s’inquiète la spécialiste en matière d’immigration.
Elle plaide en faveur d’une formation massive des employeurs en région face à des compétences qui existent déjà à Montréal parmi la communauté immigrante.
Eva Lopez déplore que des Noirs et des Arabes bien formés soient obligé de modifier leur nm dans les CV en vue de pouvoir obtenir une entrevue d’embauche.
« Il y a un manque de préparation des employeurs pour favoriser l’embauche de ces personnes aux chômage et qui pourraient combler beaucoup de postes»
Le parti Québec solidaire appelle le Québec à plus d’humanité dans son plan d’immigration.
Andrés Fontecilla, député de Laurier-Dorion et responsable de Québec solidaire en matière d’immigration, plaide pour sa part, en faveur d’une immigration à visage humain
« Plus encore que ses prédécesseurs, le gouvernement de la CAQ réduit l’immigration à un simple enjeu économique, à des questions de seuils et de main-d’œuvre. Résultat : sous couvert d’immigration économique, on embauche davantage de travailleurs temporaires et moins de travailleurs permanents qui cherchent à s’installer au Québec avec leur famille. », soutient-il.
« Or, les nouveaux arrivants ne sont pas du cheap labor qui viennent combler nos postes jusqu’à ce qu’on n’ait plus besoin d’eux : ce sont des citoyens en devenir qui ont beaucoup à apporter à la société québécoise », a déclaré M. Fontecilla.
François Legault freine l’économie du Québec selon le Parti libéral du Québec (PLQ).
Monsef Derraji, député de Nelligan et porte-parole libéral en matière d’immigration, de PME et d’innovation, déplore le fait que le chef de la CAQ s’entête à maintenir à 40 000 le seuil d’immigrants accueillis cette année au Québec alors que les entreprises sont confrontées à une crise de la main-d’œuvre sans précédent.
« François Legault se ferme les yeux devant la réalité du terrain. Il y a plus de 116 000 postes à pourvoir au Québec actuellement. Les entreprises se voient obligées de réduire leurs heures d’ouverture ou même de fermer tout simplement.», dit-il.
Le PLQ se dit en faveur d’un seuil de 52 000 immigrants par année tandis que Québec solidaire (QS) voudrait rehausser légèrement le nombre. QS propose d’accueillir entre 53 à 55 000 personnes par année au cours des trois prochaines années.
Plusieurs secteurs du patronat, tel que la Chambre de commerce du Montréal métropolitain évoque un minimum de 63 000 personnes par année pour pallier à la crise de main-d’oeuvre