Haïti et son « corona-insécurité »
Malgré la psychose, l’«infox» et les cas avérés d’enlèvement, d’assassinat par balles perdues, plus de 300 personnes en provenance du Canada, dont une majorité d’Haïtiens, se sont posées le 4 mars dernier dans le covid haïtien (Port-au-Prince) pour affaires, pour voir des proches ou pour voir ce qui reste de leur Haïti chérie.
Je faisais partie de ces effrontés, de ces braves qui cranaient pendant les 4h de vol. Au sortir de l’avion, deux malheureuses infirmières masquées jusqu’aux oreilles, se démènent pour prendre, à la va-vite, sur font de musique troubadour, la température de chaque passager à l’aide d’un thermomètre électronique.
Et voilà tout pour le test haïtien du covid-19. Les agents d’immigration, pour la plupart, se masquent le visage, s’enfilent des gangs au latex afin de toucher aux passeports dans le cadre des vérifications de routine. Et, le tour est joué.
On était seuls dans les aires d’arrivées. Les départs de Jet Bleue, American Airlines ou autres vols régionaux étaient tout aussi vide à l’inverse. Or,aucun cas de corona-virus n’est recensé à ce moment-là, au pays.
Les employés se tournent les pouces aux comptoirs ou ricanent sous de vielles blagues et histoires cocasses du folklore haïtien.
À l’extérieur de l’aéroport, il n’y a pas moyen d’esquiver une meute de préposés au bagage, en uniforme, dépourvus de masques, de gangs et qui se battent pour décrocher ce petit boulot en échange d’un dollar ou plus.
J’ai réussi à traverser ce couloir de manutentionneurs, de «fixeurs », de chauffeurs de taxis qui vous proposent tous à la fois une course.
J’avoue que c’était moins lourd à porter ou à supporter cette fois, corona-virus oblige.
Moi et mon guide, quittons l’ancien Maïs gâté en se frayant une brèche entre fatras, marchands ambulants, taudis et un parc automobile impressionnant qui mélange vétusté et voiture de l’année.
La psychose
J’informe mon fixeur que je dois me rendre dans la région de Carrefour. «Traverser Martissant pour se rendre à Carrefour, il fallait planifier. Et ce n’était pas dans mes plans », me dit-il.
Martissant est ce quartier, à mi-chemin entre le centre-ville de P-au-P et la commune de Carrefour, au sud de la capitale.
Ici, des hommes armés jusqu’aux dents font des descentes régulières sur la route nationale No 2 et font parler la poudre au moment de kidnapper, de tuer, de rançonner et de terroriser salariés, écoliers, des laissés-pour-compte et une bande de désœuvrés de l’économie informelle.
Deux jours après mon arrivée, mon guide m’informe qu’on va tenter une traversée de cette zone de non-droit. Mais, il prévient: «s’il y a le moindre bouchon sur ce tronçon, je rebrousse chemin.»
Je ne dis mot. Il s’avère, ce jour-là, que la circulation était plus au moins fluide. En s’approchant de Martissant, il baisse ses vitres teintées, enlève sa montre et cache son téléphone Note et me dit : «n’utilise pas ton téléphone jusqu’à ce qu’on quitte cette zone.»
Cette zone où des porcs lâchés en pleine nature composent avec des petites marchandes de légumes, viandes, fruits de mer exposés à ciel ouvert sur des tas d’immondices ou sous des tentes de fortune.
Mon réflexe journalistique me pousse à sortir mon téléphone pour une photo. Je me suis fait tancer : « tu fais quoi là…! ».
« Il y en a partout sur les toits des taudis. S’ils te voient en train de photographier, ils peuvent te prendre pour un indique de la police ou un espion. À ce moment-là, ils peuvent nous tirer dessus.»
Je range tout de suite mon appareil.
« Le ou la police »
C’est de coutume que ces hommes armés de Martissant, Village de Dieu, Cité Soleil, entre autres, flanqués de chefs de parti, prennent part à des manifestations à caractère politique sous le regard combien passif des forces de l’ordre. Arnel Joseph, actuellement en prison, en est la meilleure illustration.
Aujourd’hui, à la faveur d’un mouvement de syndicalisation de la Police nationale d’Haïti (PNH), les manifestations populaires anti Jovenel Moïse font place à des hommes en uniforme ou en civil, encagoulés, qui empoignent des pistolets, des fusils, poignards pour une autre forme de « pays lock ».
Des dizaines et parfois des centaines de clés de camions, voitures sont réquisitionnées en pleine rue par ce que la population appelle ironiquement « le police ».
Une façon de dire qu’il est pratiquement impossible dans le contexte haïtien d’aujourd’hui de distinguer le vrai du faux. Impossible de décanter.
La psychose et une grave crise de confiance envahissent plus de 12 millions de personnes. Sur les 27 mille kilomètres carrés, c’est le sauve-qui-peut.
Pourtant théoriquement, il y aurait un président, des ministres, des parlementaires, des maires, payés un appointement que la population n’a pas pour un service que personne ne reçoit.
Dans une ambiance comme ça, Haïti fait face depuis longtemps déjà au corona-virus. Le virus de l’insécurité qui tue à petit feu tout un pays pendant que les dirigeants se pavanent, sans étoffes, en président, premier ministre, maires, chef de police, etc…
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3 Comments on “Haïti et son « corona-insécurité »”
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Intéressant
Je prends toujours plaisir à lire les articles de Jean Numa. C’est une excellente plume !
Ainsi est rendue notre Haïti chérie. Dieu merci, tu t’en es sorti sauf