Québec: le cocktail «racisme systémique» et santé mentale
La Dre Myrna Lashley, professeure à McGill
« Je pense que si mon père avait pu trouver un psychiatre de sa communauté qui aurait pu comprendre les éléments qui le bloquait par rapport à son éducation en Haïti, cela l’aurait aidé grandement.», lance Guedwig Bernier lors des « Conversations québécoises sur le racisme » réalisées pendant deux jours, les 8 et 9 décembre dernier, par le Sommet socioéconomique des jeunes des communautés noires (SdesJ)
Le père du président du parti Projet Montréal, qui souffrait de bipolarité, est décédé, il y a 5 ans, après avoir cherché en vain pendant 25 ans des solutions à son problème. Le manque de professionnel en santé mentale dans les communautés culturelles est criant, frappant même.
La Dre Myrna Lashley, psychologue de race noire et professeure à l’université McGill a été la seule pendant de nombreuses années à s’occuper du mental de sa communauté à Montréal.
« À un moment donné c’était devenu trop lourd pour moi.», confie la psy en entrevue au journal, histoire de nous dire que le problème est majeur et très répandu. De plus, souligne-t-elle, ses collègues blancs n’ont pas toujours l’« approche » face à des personnes de couleurs de peau différentes, avec un bagage culturel autre.
« Ils voient toutes les situations avec les yeux d’un Blanc et ils pensent que tout le monde est comme ça. »-
Dre Myrna Lashley
«Ils ne comprennent pas le trauma qu’ont vécu les gens qui viennent d’ailleurs (immigrants) et qui ont l’esclavage comme héritage.» ajoute la professeure Lashley.
Toutefois, depuis près de 20 ans, McGill insère dans son cursus des notions et des approches axées sur les communautés culturelles à l’intention des ses étudiants en psychologie. La Dre Lashley y contribue grâce à sa solide expérience avec les personnes racisées.
Les professionnels noirs ne manquent pas seulement dans les services. Ils sont fortement sous-représentés dans la recherche également. C’est ce que déplore l’Association canadienne pour la santé mentale- filiale Québec.
« Je suis tellement touchée par l’absence de personnes racisées dans la recherche, confie Karen Hetherington, présidente de l’association, c’est quelque chose de voir comment le système ne donne pas la possibilité aux gens d’y participer.»
Mme Hetherington qui parle de la situation comme d’une « question de droits humains» déplore par ailleurs des ratés en matière de promotion et de prévention auprès des communautés ethnoculturelles, ce qui aurait pu aider.
La santé mentale est un état de bien-être dans lequel un individu peut réaliser son propre potentiel et faire face aux situations normales de la vie et au stress qu’elles génèrent.
«Comme nous vivons dans une situation de racisme systémique, c’est impossible de ne pas l’avoir, le problème de santé mentale.», fait remarquer la psyhologue Lashley
Si elle est mal gérée, cela peut conduire alors à des maladies mentales comme la dépression, la schizophrénie entre autres.
Pour la spsychiatre en résidence Kaole Gouvon, certains traumatismes sont étroitement liés à l’immigration. Elle va jusqu’à ligaturer la santé mentale à une société donnée ou une culture en particulier. Elle cite souvent « Crazy like us » (Aussi fou que nous), un livre qui démontre comment la maladie mentale évolue en raison de l’influence occidentale ou du modèle sociétal.
«On sait que quand on a un patient qui a immigré récemment, ils ont plus de vulnérabilité, ils sont plus à risque de ne pas aller bien »-
Karole Gauvon, psychiatre en résidence
La COVID-19 et les têtes racisées
Plusieurs études sont venues démontrer le lien entre une dégradation de la santé mentale et la maladie au coronavirus. Le Dr Prévost Jeantchou de l’Hôpital Sainte-Justine a mené une enquête auprès d’une cohorte qu’il a suivie au cours de la première vague jusqu’à tout récemment.
Il appert que les problèmes ont été exacerbés depuis sur le plan de l’anxiété et de la dépression.
- Personne axieuse : de 23 à 30%
- Dépressifs : de 27 à 33%
- L’étude révèle que la consommation de substance à légèrement grimpé de 2,7% et que la dépendance aux médias a largement contribué au sentiment d’anxiété
- Le taux de psychose est 60%plus élevé parmi les segments de la population noire par rapport à la population générale selon une Étude su Secrétariat de lutte au racisme.
- Au total, 83% des 1,2 millions de Noirs se disent être traités injustement au moins parfois
« Pendant que vous risquez votre vie pour aider la société, cette dernière ne vous voit pas comme faisant partie intégrante…, c’est lourd, c’est pesant de vivre comme ça.» souligne la Dre Lashley.
Associé à cela, il faut s’attendre à des problèmes cardio-vasculaires, d’addiction, d’obésité entre autres. Elle espérait qu’avec le mouvement Black live matters, ayant le vent en poupe depuis l’assassinat en direct, par un policier blanc, de George Floyd,la tension allait baisser pour les personnes racisées.
Mais le problème, dit-elle, est «intergénérationnel» en ce sens qu’il y a une perception des Noirs qui se transmet de génération en génération parmi les Blancs. Elle prône une éducation des jeunes noirs sur le vivre dans cette société et « comment réagir face à la police ».
Elle a dit
« Si tu achètes un paquet de gomme à mâcher, il faut que tu gardes le reçu jusqu’à ce que tu quittes l’endroit alors que si tu es Bancs ce n’est pas nécessaire d’avoir cette conversation avec l’enfant.»