Plus de 31 ans de prison pour légitime défense
Albert Duterville. PHOTO : RADIO-CANADA
Toute l’histoire est racontée ici dans le cadre d’une chronique de Me Néron sur Vigile qui ouvre ses pages aujourd’hui à une affaire pathétique qui dépasse l’entendement. Dans le-plus-meilleur-pays-du-monde, un homme purge une peine fédérale depuis avril 1990, dont 24 années passées en isolement solitaire complet. Toutes les personnes et les institutions censées lui venir en aide ont failli à leur devoir de justice, abandonnant dans un système qui ne connaît pas la pitié un homme seul aux prises avec un grave syndrome de stress post-traumatique. C’est son projet d’habeas corpus, rédigé du fond de sa cellule, que Vigile publie aujourd’hui.
Rappel des fait.
Le 2 décembre 1990, j’ai été condamné à 15 ans de prison par l’honorable John GOMERY pour avoir tué un fier à bras des Hells Angels qui avait tenté de m’expulser de ma maison par la violence avec un bâton de base-ball ;
On m’a accusé d’avoir utilisé une force excessive, ce que j’ai nié catégoriquement. Personne ne connaît mieux que moi ce qui s’est passé lorsque j’ai été attaqué le 17 avril 1990 ;
Je suis maintenant en prison depuis 31 ans pour cet acte de légitime défense et surtout pour n’avoir pu faire rejeter à mon procès des pièces contrefaites qui contredisaient ma version des faits ;
J’ai passé plus de 75% de ce temps en isolement cellulaire total que l’on appelle familièrement « le trou » ;
J’ai commencé à souffrir du syndrome de stress post traumatique depuis le 31 août 1996, date où j’ai failli d’être tué après avoir été assailli par une soixantaine de Hells Angels qui m’ont frappé avec des barres de fer. Depuis le début de mon incarcération, j’ai constamment été la cible de la vengeance des Hells Angels pour avoir tué en légitime défense l’un des leurs proches ;
J’ai toujours plaidé mon innocence morale et légale face aux événements qui m’ont amené en prison. La victime, un fier à bras des Hells Angels, s’est présentée chez moi et m’a attaqué par surprise avec un bâton de base-ball pour me sortir de la maison. Un seul coup de ce bâton risquait de me fracasser le crâne. Après avoir été touché, paniqué, j’ai reculé de quelques pas. Puis j’ai tiré. Je n’ai jamais eu l’intention de tuer cet agresseur. Pourtant, cet agresseur avait eu le temps qu’il voulait pour réfléchir à l’opportunité, la légalité et la moralité de l’acte de violence qu’il planifiait contre moi. Pour ma part, je n’avais eu que quelques secondes pour réfléchir alors que, j’étais complètement déstabilisé par la soudaineté et la violence de l’attaque ;
Suite à ma condamnation, j’ai été, le 31 janvier 1991, transféré du Centre de détention Parthenais au Centre régional de réception des Services correctionnels fédéraux ;
Rendu à cet endroit, j’avais demandé à rencontrer une personne en autorité pour des raisons de sécurité. À ce moment-là, le gérant d’unité m’avait fait rencontrer Gisèle GAGNON qui était administrateur de sentence et Julie PLANTE qu’elle, était agent de gestion de cas ou agent de classement qu’on appelle aujourd’hui agent de libération conditionnelle. Lors de cette rencontre, je leur avais expliqué que :
8.1 Je suis un ex-policier et ex-enquêteur au service des enquêtes criminelles de mon pays ;
8.2 Je suis un réfugié qui a été emprisonné pendant six (6) mois sans accusation ni procès en Haït, puis seize (16) mois sans accusation ni procès en République Dominicaine ;
8.3 Mon emprisonnement en Haïti est dû au fait que j’avais critiqué certaines méthodes criminelles de notre police d’état consistait à fabriquer des scènes de crimes pour justifier des actes de violence contre d’honnêtetés personnes que l’on soupçonnait de comploter contre le régime et la famille de DUVALIER ;
8.4 Mon emprisonnement en République Dominicaine est dû au fait que j’avais traversé illégalement la frontière pour échapper à notre police d’état qui était à mes trousses pour que je dénonce d’autres policiers qui avaient critiqué de nombreuses pratiques criminelles de notre police d’état ;
8.5 Je suis un résident permanent ;
8.6 Toujours intéressé par les affaires criminelles, je m’étais mis à travailler pour deux (2) des corps policiers du Québec comme soit agent double ou agent d’infiltration ;
8.7 Avant les événements qui m’ont amené en prison, j’avais déjà été agressé par la victime et un ami de celle-ci à la maison chez moi ;
8.8 C’est lors d’une deuxième attaque perpétrée par la victime, cette fois accompagnée par mon ex-conjointe que j’ai tiré sur eux. C’était sans préméditation aucune. J’étais dans un état de désarroi. En tant que jeune policier, on m’avait enseigné à ne jamais détaler devant un agresseur C’est de cette façon que j’ai réagi lors de l’attaque du 17 avril 1990 ;
8.9 À la suite de cet événement, la police n’est pas partie immédiatement à ma recherche. C’est moi qui me suis rendu à ses bureaux pour expliquer ce qui s’était passé. Mais ça a mal tourné. Le jour même j’ai été privé de mon droit à l’avocat, j.ai été menacé et roué de coups, frappé avec une serviette humide pour que je signe une déclaration gravement incriminante et fausse des événements. Cette conduite fautive de plusieurs policiers de la Sûreté du Québec va me priver du droit à un procès juste et équitable ;
8.10 Plusieurs années plus tard, soit en 1998, lors des auditions de la Commission Poitras, les policiers Hilaire ISABEL, Mario SIMARD et Gaétan RIVEST vont dénoncer l’usage systématique de la brutalité pour obtenir des aveux ou la signature de déclarations incriminantes. Pire encore, l’ex-directeur général de la Sûreté du Québec, André DUPRÉ, va même avouer qu’il savait qu’on fabriquait de la preuve à la Sûreté du Québec. Dans mon cas, les policiers avaient maquillé la scène des événements avant de prendre des photos qui allaient contredire ma version des faits ;
8.11 Dans le même sens, le 11 janvier 1995, lors de ma demande de prorogation de délai d’appel devant la Cour d’appel, j’avais déclaré devant ce tribunal « Tôt ou tard, l’opinion publique finira par savoir ce qui se passe à la Sûreté du Québec ». L’opinion publique l’apprendra lors des auditions de la Commission Poitras tenues de février 1997 à juin 1998 ;
8.12 Au procès, j’ai plaidé la légitime défense. Mais la loi m’obligeait à témoigner et à prouver que j’avais agi comme une personne raisonnable en pleine possession de ses facultés mentales. Mais la loi m’obligeait à faire quelque chose d’impossible. Dès le moment de l’attaque, sous le coup de l’émotion, je n’étais plus dans l’état d’une personne raisonnable et n’ayant pu contredire la preuve contrefaite qui niait ma version des événements, le jury m’a reconnu coupable de meurtre ;
8.13 Je ne voulais pas être transféré dans des Établissement de sécurité maximale principalement à Archambault parce que des membres du crime organisé et autres collègues de la victime trépignaient d’impatience à l’idée de faire ma connaissance;
8.14 Je voudrais être transféré dans un Établissement de sécurité minimale pour éviter de me faire agresser ;
Cependant, Mme PLANTE m’avait dit qu’elle allait communiquer avec les policiers qui étaient chargés de mon dossier pour savoir si elle pouvait m’envoyer dans un Établissement à sécurité moyenne ;
En fait, c’était juste pour me ridiculiser qu’elle m’avait dit ça. Car, dès qu’elle m’a dit qu’elle allait les contacter, je savais que sa réponse serait négative puisque, c’était ces mêmes policiers qui venaient tout juste de se parjurer et déposait une preuve contrefaite devant le tribunal pour me faire condamner.
Entre temps, après s’être concertée avec un dénommé Serge SIMARD, psychologue des Services correctionnels, Mme PLANTE m’avait demandé de le rencontrer. Car, le but de cette rencontre, c’était de monter un rapport qui me décrivait comme étant un vrai criminel dans le but de me coller une cote de sécurité maximale. Moralement parlant, j’ai toujours été convaincu d’avoir agi en état de légitime défense, mais, pour des raisons que j’ignore, les jurés ne m’ont pas accordé aucune crédibilité mettant toute leur confiance dans la photo de la scène maquillée par la police ;
Lors de mes rencontres avec ce dernier, croyant que c’était pour m’aider, je tentais de lui faire part de mes problèmes de sécurité, mais à chaque fois que je lui disais que j’avais peur d’aller à Archambault, parce que je savais que des gens m’attendaient pour se venger, il voulait que je parle d’autre chose ;
Pendant ce temps, le 24 février 1991 l’agent PLANTE m’a rencontré et, comme je prévoyais, elle m’a fait savoir que, selon les informations obtenues des policiers, elle ne pouvait m’envoyer dans un Établissement de sécurité moyenne. Bien entendu, c’étaient les mêmes policiers qui avaient maquillé la scène avant de la photographier ;
En outre, le fait que l’agent de classement lui ait déjà transmis les informations obtenues des policiers, lors de ma rencontre avec le psychologue, il ne croyait rien de ce que je lui disais. Une fois encore, pour des raisons que j’ignore, on ne m’avait accordé aucune forme crédibilité ;
Donc, le lendemain 25 février 1991, le psychologue a émis un rapport dévastateur, salissant et médisant sur mes qualités morales sans rien connaître de moi afin de me faire coter d’une cote de sécurité maximale et de me transférer à l’Établissement de sécurité maximale d’Archambault. Tel qu’il appert la pièce produite sous P-1 ;
Après avoir rédigé son propre rapport, dans lequel, elle m’avait qualifié de manipulateur pour m’envoyer Archambault. Lors de la même journée l’agente de classement m’avait rencontré pour m’informer que, d’après les informations obtenues des policiers, elle n’avait d’autre choix que de m’attribuer à une cote de sécurité maximale et m’envoyer à l’Établissement Archambault. Tel qu’il appert les pièces produites sous P-2 ;
Après m’avoir avisé qu’elle allait m’envoyer à Archambault, de peur de me faire tuer ou de me faire agresser, je lui avais demandé de me garder au pavillon « A » au Centre régional de réception (CRR), puisque ce pavillon recevait des détenus qui purgent de longues sentences, mais elle avait refusé ma demande. Ma sécurité ne l’intéressait pas ;
Après avoir reçu ces deux (2) rapports, et la recommandation de l’agent, en date du 26 février 1991 le directeur du Centre régional de réception m’avait transféré à l’Établissement de sécurité maximale d’Archambault, malgré les refus que je leur avais manifestés, malgré que, depuis Parthenais, les policiers savaient que j’avais des antagonistes qui m’attendaient à Archambault pour se venger de la mort de leur ami et malgré que les membres du personnel du Centre régional de réception étaient au courant. Mais ma sécurité ne l’intéressait pas ;
Rendu à cet Établissement, après avoir été conduit au pavillon « E », pendant que j’étais dans la salle d’attente, j’avais été reconnu par l’un de mes antagonistes, soit le détenu Éric BÉLANGER, Depuis le Centre de détention Parthenais, un individu prénommé Daniel qui m’avait agressé chez moi, lui avait donné le contrat de se venger. Lorsque, quelques minutes plus tard, l’agent de classement Philippe BENSIMON m’a rencontré, je lui ai fait savoir que je venais d’être reconnu par un ami de la victime à l’Établissement. Tel qu’il appert la pièce produite sous P-3 ;
Mais après avoir reçu les rapports du psychologue et celui de l’agente de gestion de cas du Centre régional de réception, le fait qu’on m’avait qualifié de manipulateur, l’agent BENSIMON s’était contenté de me transférer dans un autre pavillon, soit du pavillon « E » au pavillon « J » sans toutefois prendre des mesures nécessaires pour me protéger. Ma sécurité ne l’intéressait non plus ;