BCHM: 50 ans à l’épreuve du temps
Ruth Pierre-Paul dirige le Bureau de la Communauté haïtienne de Montréal (BCHM) depuis 13 ans
. Ce texte est rédigé dans le cadre de l’événement gratuit: «200 ans au Sommet», le samedi 7 octobre à la Tour du Vieux Port de Montréal
de 9h du matin à 18 h.
Expulsé d’Haïti par François Duvalier en 1969, Paul Déjean, ce prêtre catholique trouve refuge à Montréal. Mais il n’est pas le seul. D’autres prêtres comme Joseph Augustin (Papi Jo), Karl Lévesque et des chrétiens vivent le même exil et se réunissent régulièrement pour échanger entre eux.
À l’époque, chaque semaine, des avions arrivent de Port-au-Prince avec au moins 250 Haïtiens à bord ayant la ferme intention de s’installer à Montréal. Ils subissent de longs interrogatoires avant d’être admis comme visiteur au Canada. Pouvoir s’exprimer en français était un atout majeur pour demeurer au Québec. Sinon il y a de fortes chances qu’ils doivent reprendre le prochain vol vers Port-au-Prince.
Préoccupés par ces enjeux reliés aux entrevues d’admission en sol québécois et la difficulté des Haïtiens à communiquer en français, les trois prêtres Déjean, Lévesque et Augustin décident d’ouvrir le Bureau de la communauté chrétienne de Montréal (BCCHM). La mission de l’organisme était d’aider les Haïtiens à réussir leur tests d’immigration dans la langue de Molière et éviter ainsi une déportation. D’autres étaient pourtant très bien formés et faisait partie de l’intelligentsia haïtienne.
«On était en plein dans la Révolution tranquille, une période où on n’avait des besoins en matière de main-d’œuvre et celle-là est arrivée toute formée», note l’ancienne directrice de l’organisme, Marlène Rateau qui s’exprimait dans un documentaire réalisé à l’occasion des 50 ans du Bureau. En effet, certains rejugés politiques étaient très bien formés et faisaient partie de l’intelligentsia haïtienne.
Crise du taxi et Sida
Un autre ancien directeur de l’organisme, le sociologue Jean Claude Icart, rappelle dans cette vidéo que le BCCHM devenu BCHM a toujours été dans la défense des immigrants, l’accompagnement des nouveaux arrivants, un travail d’alerte de l’opinion publique et de représentations auprès des autorités.
Après avoir mis «le paquet sur l’immigration», les militants se sont évertués, en 1980, à la lutte au racisme dans l’industrie du taxi, une voix d’accueil et une source de tension entre les Haïtiens et ceux qui occupaient les avenue de ce secteur.
«Une des compagnies qui embauchait des chauffeurs noirs a décidé un beau matin de les renvoyer tous, se souvient M. Icart. Le propriétaire s’est rendu compte que son entreprise était pénalisée parce qu’elle ne pratiquait pas du racisme. Des hôtels, des restaurants entre autres privilégiaient des compagnies qui n’embauchent pas de chauffeurs noirs.»
Alors le BCCHM a pris à bras le corps la cause et a aidé les chauffeurs à se mettre ensemble. Une initiative qui a été à l’origine de la création du Bureau du taxi à Montréal.
La démarche a permis aussi une régularisation de la présence des chauffeurs à Dorval, proche de l’aéroport. Le Bureau était au cœur de la crise sur le Sida dans les années 80 où les Haïtiens étaient associés aux 4H (hémophiles, haïtiens, héroïnomanes et homosexuels). Roger Perreault, directeur de la Croix-Rouge canadienne à l’époque a demandé aux Haïtiens de s’abstenir de donner du sang sous prétexte que ces derniers ont le sida.
Quelques réalisations du BCHM autrefois appelé BCCHM :
- Création du Centre Na Rive
- Création du CPE Ami Soleil (Le BCCHM a pu compter sur l’aide de quelques membres de la communauté haïtienne tels que Renée Condé Icart, Véronique Raymond, Carl Brierre, Gérard Barthélemy, Rosemay Eustache et Frank Hyppolite.
- Centre haïtien d’action familiale
- Troupe de danse Mapou Ginen (Joseph Augustin, Micheline Cantave-Gingras, Max Dominique)
- L’organisation a joué un rôle de premier plan dans la création de la radio communautaire CIBL, à Montréal
De «nouvelles batailles»
De la défense de droits par le passé, le BCHM a évolué en fonction des besoins de la communauté selon l’actuelle directrice générale, Ruth Pierre-Paul.
«La mission du BCHM a évolué. On s’adressait uniquement à la communauté haïtienne et depuis 2010 on est ouvert aux autres communautés. On dessert une vingtaine de communautés autres notamment à travers nos camps de jour» R. Pierre-Paul.
De nouveaux programmes ont vu le jour depuis son arrivée à la direction de l’organisme en 2010, ce qui implique de «nouvelles batailles» également. On parle de « Ma réussite, j’y tiens», «Bâtir des relations saines » «Papa impliqué, enfant équilibré» et d’«Option protection», axés sur la famille, les enfants, les parents au sein de la communauté et font partie du Plan stratégique de l’organisation. Notons que le programme «Option protection» vise à lutter contre la surreprésentation des enfants noirs en milieu de protection.
Le village du BCHM «Lakou pataj»
Le BCHM dessert aujourd’hui une clientèle de familles dans lesquelles la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ est impliquée. D’ailleurs, un des projets phares de l’organisme concerne ceux qui, à l’âge de 18 ans, quittent la DPJ. En effet, le BCHM prévoit la création de logements transitoires pour ceux qui auront besoin d’accompagnement et de réinsertion sociale afin d’éviter l’itinérance chez ces jeunes adultes.
Le Village du BCHM Lakou Pataj devrait se réaliser avec l’achat de la bâtisse du CSSDM qui accueille les bureaux de l’Organisation depuis plusieurs années.
«Pour moi, ce sont des avancées au sein de l’organisme qui permettent d’asseoir les services et programmes adaptés aux besoins de la communauté», estime Ruth Pierre-Paul qui assure que le projet d’acquisition «avance lentement mais sûrement»
Selon Ruth Pierre-Paul, le BCHM se projette déjà dans les 50 prochaines, pour continuer à jouer son rôle de vigie sur les enjeux des communautés immigrantes et à intervenir pour les accompagner. Elle ajoute que le parcours du BCHM témoigne de la volonté d’une communauté qui se prend en main et qui se donne les moyens nécessaires pour avancer. Le BCHM est une histoire de convictions, de contributions et de citoyenneté.
Ce texte est rédigé dans le cadre de l’événement «200 ans au Sommet», le samedi 7 octobre à la Tour du Vieux Port de Montréal, afin d’honorer le travail de quatre organismes de la communauté depuis 50 ans au Québec.