Politique municipale: difficile tremplin des Québécois afro-descendants - Intexto, jounal nou
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Des élus municipaux noirs du grand Montréal lors d'une rencontre avec d'autres élus provinciaux à l'initiative du député fédéral Emmanuel Dubourg, en février 2023. Photo: Frantz Corvil
Les élections municipales de 2021 ont vu le nombre d’élus noirs au Québec exploser, passant de moins d’une dizaine à 29 aujourd’hui. Mais comment ces politiciens, aux couleurs de peau différentes, vivent-ils cette politique de proximité avec des citoyens peu habitués à la diversité ?
In Texto a rencontré Raïs Kibonge, conseiller municipal du district du Lac-des-Nations et maire suppléant de Sherbrooke, une ville de 180 000 habitants ; Reine Bombo-Allara, présidente du conseil municipal de Longueuil ; et Bettyna Bélizaire, conseillère municipale à Gatineau. Leur parcours migratoire, leur arrivée en politique et le racisme dans leur quotidien sont autant de sujets abordés avec eux, sans détour.
Arrivé au Canada en décembre 2005 comme réfugié à l’âge de 20 ans, suivant ses parents, Raïs Kibonge a fuit l’est de la République démocratique du Congo (RDC), où la guerre civile au Rwanda avait des répercussions. En cette année-là, sa mère a quitté le pays sans les enfants pour Montréal, comme réfugiée de l’ONU, afin de préparer leur venue au Canada.
Une fois la famille réunie, le jeune Raïs se cherche. Il déménage en Alberta pendant deux ans avant de revenir au Québec. Ensuite, il s’installe à Sherbrooke pour entreprendre des études en science politique et s’implique du même souffle dans la communauté et en politique active en devenant attaché politique de la députée Christine Labrie, poste qu’il a occupé à l’Assemblée nationale durant trois ans.
Dans les rouages de la politique, il y prend goût et décide, en 2017, de mener sa première campagne électorale. « Tout le monde me disait : « Ah… cela va être dur… La dame contre qui tu te présentes, cela fait 19 ans qu’elle est là. La majorité des gens dans le quartier sont des Québécois de souche, etc. » »
Dans Lac-des-Nations, il finit deuxième. Et on lui dit cette fois que « c’était bien, tu as fait peur ». Il remet ça lors des élections de 2021, alors que la conseillère sortante prend sa retraite après 23 ans. Face à lui, deux candidats portant des noms à consonance québécoise qu’il a battus.
Un mois après les élections, il a été nommé maire suppléant par la jeune mairesse de 33 ans, Éveline Beaudin. Une suppléance plutôt tranquille jusqu’à ce que la titulaire tombe malade vers le mois d’octobre 2023, et qu’il joue pleinement le rôle de maire de Sherbrooke. Pour toutes les municipalités, novembre et décembre sont les mois les plus chauds en raison de la préparation du budget.
« Je me suis retrouvé avec ces deux dossiers chauds : à mi-mandat, on avait promis de faire des remaniements dans les commissions et de regarder les nouvelles mesures de hausses de taxes », dit l’homme de 38 ans.
D’une dizaine de courriels par jour, Raïs Kibonge est passé à une centaine à traiter. Et ils ne sont pas tous polis ; certains sont même racistes. « Moi, je ne vois pas ce genre de choses, note le maire suppléant. L’équipe évite de me laisser les lire. » Mais dans les médias, il n’y a pas moyen de les éviter. Comme quand quelqu’un a écrit : « Ah… c’est la misère noire qui arrive à Sherbrooke ».
M. Kibonge dit avoir pris cela avec philosophie, grâce à son expérience et, malgré que la police voulait enquêter, il n’en a pas donné suite. « Mais les gens de mon équipe étaient choqués, disant comment quelqu’un peut écrire cela… Je leur dis : « Ben… alors, bienvenue dans ma réalité ». »
Comme Raïs, Reine Bombo-Allara est née en RDC. Elle arrive au Canada à l’âge d’un an, en 1988, avec sa mère monoparentale et a grandi à Longueuil où elle est devenue conseillère municipale du district Georges-Dor dans le Vieux-Longueuil.
Mme Bombo-Allara a fait des études en administration des affaires et gestion d’entreprise au HEC Montréal, mais la politique l’habitait depuis toute jeune. Elle fait ses premières armes en tant que commissaire scolaire en 2018, juste avant que la Loi 40 ne vienne abolir les commissions scolaires, qui étaient de véritables assemblées politiques.
«J’ai eu la piqûre de la politique à ce moment-là», confie-t-elle en entrevue avec In Texto. En 2021, elle approche Catherine Fournier du Parti Coalition Longueuil pour intégrer son équipe et mène avec elle une pré-campagne qui a duré six mois avant le déclenchement des élections. À ce moment-là, elle fait face à l’indifférence et parfois au racisme.
«Je suis tombée sur un seul citoyen qui m’a dit : « Je ne voterai jamais pour vous. Parce que ma peau et votre peau, cela ne marchera jamais »», se souvient la présidente du Conseil municipal. Elle dit avoir pris tout cela avec courage et résilience. «Cela ne m’a pas choqué, je m’y attendais, je l’ai pris comme de l’ignorance», affirme Mme Bombo-Allara, qui s’étonne agréablement du fait qu’elle ait rencontré un seul citoyen à réagir ainsi. «Il y en a toujours, j’en ai toujours vécu et c’est insidieux», ajoute celle qui a su développer «une certaine résilience» face à des sentiments comme cela.
Arrivée d’Haïti au Canada en 2003, Bettyna Bélizaire, conseillère municipale, District du Plateau, n’avait pas en tête de faire de la politique un jour. Ses implications étaient plus communautaires, au sein du Conseil exécutif de l’École catholique Franco-Ouest, à l’Association des résidents du Plateau ou encore au Comité directeur de bourse pour les étudiants haïtiens.
Elle dirige l’Accompagnement des femmes immigrantes de l’Outaouais (AFIO) qui les aide dans leur intégration. Et c’est son dada. «Ce n’était pas prévu mon implication en politique, mais de fil en aiguille cela m’a mené vers cela», jure la conseillère en entrevue avec MNC. Mais comme les résidents du Plateau où elle habite, elle vivait certains enjeux qui l’interpellaient.
Elle décide de se jeter dans l’arène en proposant aux citoyens un plan de redressement de ces questions. À la table du Conseil municipal, le racisme est un sujet qu’elle soulève avec ses collègues, notamment dans le hockey et dans les rues avec le profilage racial, entre autres.
Mais, lorsqu’on lui demande si elle en a vécu elle-même, la conseillère esquisse une moue pendant trente secondes et répond enfin : «Oui, mais je ne souhaite pas en parler». À la fin, elle délie la langue un peu. «Ce qui arrive avec le racisme, c’est que des fois j’aimerais que ce soit méchant. Car, le problème, c’est que c’est tellement subtil dans la façon de faire que tu aurais trop à expliquer pour en arriver à la démonstration», lâche Mme Bélizaire.
«C’est dommage qu’on soit encore là», déplore-t-elle.
A Sherbrooke, Raïs Kibonge, le maire suppléant, parle de son parcours comme d’un « mélange de travail et de chance » dans la vie. « Souvent, je dis à la blague qu’il y a tellement de portes qui sont fermées devant moi que je suis devenu spécialiste à entrer par les fenêtres. »
« Quand une porte se ferme, il y a toujours une fenêtre qui s’ouvre », philosophe le jeune politicien d’origine immigrante, pour parler de son esprit positif.
Outre les 29 élus municipaux, le Québec compte six députés provinciaux noirs et un député fédéral, Emmanuel Dubourg, qui ne se représentera pas d’ailleurs dans Bourassa. À l’initiative du député Dubourg, dans le cadre du Mois de l’histoire, ces élus se réunissent afin de discuter des enjeux de leur communauté. Leur prochaine rencontre doit avoir lieu le 15 février prochain à Montréal.