Environ 70 nouveaux médecins noirs bientôt à Montréal
Roseline Racicot, 22 ans, a essuyé deux refus avant d’être admise finalement en médecine à l’Université de Montréal (UdeM) grâce au Plan d’action sur la représentation des étudiants noirs, mis sur pied par l’établissement d’enseignement supérieur. Elle fait partie de la toute première cohorte à intégrer le programme en 22-23. Après une année préparatoire, la jeune femme d’origine haïtienne réalise sa première année de médecine actuellement et «cela se passe bien».
Devenir médecin, comme son père, a toujours été son rêve. Elle s’y préparait depuis longtemps et a toujours eu de bonnes notes qui lui permettraient d’entrer en médecine. Mais pourquoi cela n’avait-il pas fonctionné avant ?
«Le programme d’accès a certainement aidé. Mais il y a beaucoup de biais sexistes et racistes », répond-elle en entrevue avec In Texto. Elle ajoute ensuite qu’elle va «jamais savoir vraiment à 100%». Car, elle n’a pas eu de rétroactions directes avec le bureau d’admission.
Le parcours de Merveille Moungang Djifo, 24 ans, est différent, mais semé de beaucoup d’embuches. Arrivée, il y a quatre ans, du Cameroun (Afrique) comme étudiante étrangère, elle a fait d’abord un bac en biochimie à la faculté des Arts et des Sciences de l’Université Concordia. Elle a gragué major de sa promotion. À michemin de sa maitrise à l’école de santé publique de l’UdeM, option gestion du système de santé, elle est admise en médecine.
«Le processus relève un peu du miracle», dit-elle. C’est plus compliqué en raison du quota d’admission d’étudiants étrangers fixé par le gouvernement. Les chances pour elle étaient de moins de 1%.
Les étudiants étrangers doivent payer le plein prix par session d’études ne jouissant pas de prêts et bourses de la part du gouvernement. Dans le cas de Merveille, on parle de 9 000 dollars. Même si elle dispose d’une bourse de $ 6 000, l’étudiante internationale doit travailler parallèlement pour financer la balance de $ 3 000, ce qu’elle a fait au cours de la COVID, notamment, à travers le programme «Je contribue». Elle travaille toujours à temps partiel.
«J’ai pu toucher du doigt les réalités que vivent les personnes des minorités dans le système, cela m’a fait aller vers la médecine», témoigne celle qui veut devenir cardiologue et qui percoit » la médecine comme une formidable histoire d’amour avec l’humanité, un privilège de soulager et aider les autres quand ils sont le plus vulnérables»,
«Rejetés de manière disproportionnée»
Les personnes noires représentaient environ 4,5 % des postulants en médecine au Québec en 2020. Or, on estime à 1,8 % la proportion de candidates et candidats noirs à avoir été invités aux entrevues d’admission dans les facultés de médecine québécoises et à 1,2 % la proportion de celles et ceux qui y ont été acceptés en 2019. C’est le résultat d’une étude menée par le Dr Jean-Michel Leduc, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.
«Ces chiffres laissent penser que les étudiantes et étudiants noirs qui font une demande d’admission en médecine sont rejetés de manière disproportionnée à la première étape par rapport aux étudiantes et étudiants non noirs», disait-il au moment de cette étude, ce qui n’est plus le cas.
En entrevue avec In Texto, le microbiologiste souligne que les barrières sont multifactorielles, ce que le Plan d’action de l’UdeM tente de briser. Il parle, dans le cheminement scolaire d’une méconnaissance qui fait en sorte que les élèves ne savent pas quel préalable faire et ils peuvent ne pas avoir de modèles de rôle dans leur entourage également.
«Pour les gens qui arrivent à postuler, on a constaté une certaine barrière systémique qui se reflète dans la cote de rendement au collégial (cote R) ou le test Casper (test de jugement situationnel), d’où une différence de score qui fait en sorte que le postulant n’arrive à pas à l’entrevue», analyse le Dr Leduc.
Des dizaines de Noirs en médecine
Mais grâce au Plan de l’UdeM et auquel participe également l’Université McGill environ 70 étudiants noirs ont été admis en médecine en deux ans dans les deux établissements. Et l’infectiologue soutient qu’il doit y en avoir plus.
« Il y a des gens qui peuvent choisir de ne pas s’autodéclarer parce qu’ils ont encore des craintes. Oui, oui on le sait», répète-t-il lorsqu’on lui repose la question. Les établissements d’enseignement
En plus de leur permettre d’avoir accès à l’entrevue afin de faire valoir leur intérêt et de savoir, les universités réalisent des tournées dans les écoles afin de recruter, d’inciter les plus jeunes à considérer des carrières en santé. Elles font des sessions des sessions d’information. Et, une fois admis, elles font pour«enlever les stéréotypes et les choses qui sont vexatoires dans l’environnement universitaire. , « Car il y a eu toute sorte de choses qui ont été véhiculées», rappelle le Dr Jean-Michel Leduc.
Des microagressions
Même si elle n’en a pas vécu personnellement, la présidente de l’aile jeunesse de l’Association médicale des Noirs du Québec Merveille Moungang Djifo dit en avoir entendu parler à tout le moins. Son association en a recensé un certain nombre en 2020.
Une étudiante de 2e année demande à un prof: «Est-ce que cette pathologie est plus fréquente chez les personnes noires?», et lui de répondre:«Bof, je ne sais pas, ils ont tout cela.»
«Une enseignante décide d’imiter un accent créole très caricaturé au milieu du cours. 200 étudiants rient aux éclats. Le malaise me ronge », témoigne un étudiant noir de 1re année. Ou encore lors d’un stage d’observation, trois médecins demandent à un étudiant noir de 2e année d’où il vient ? Et il répond : Montréal. «Ben non, tu ne viens pas du Québec certain!»
La situation s’est beaucoup amélioré grâce à des dispositions adoptées par les facultés de médecine.
Ces microagressions, l’association des étudiants noirs en médecine de l’UdeM les vit également, rapporte la coprésidente, Roseline Racicot. «Les microagressions viennent plus de nos collègues blancs qui ne trouvent pas le besoin, la validité de notre association et qui nous le disent», déplore l’étudiante.
«Je dirai que c’est un gros pas vers un système de santé plus accessible et plus équitable, vers un changement de la perception que les communautés noires ont de la profession», répond pour sa part Merveille.
Afin d’éviter qu’ils soient laissés-pour-compte, Roseline Racicot et Cloée Mupesse ont créé l’AENM. Cette dernière met à la disposition de sa quarantaine de membres actuellement des ressources nécessaires. Programme repensé pour refléter les différentes cultures. Les défis pour les noirs sont uniques et particuliers, sous-représentation.
Avec l’augmentation de l’immigration, la population montréalaise, québécoise, est de plus en plus diversifiée. Dans cette optique le Dr Leduc croit que le fait d’avoir plus de soignants des différentes communautés ne peut qu’être bénéfique pour la société en général.
«Ce qu’on sait c’est que la population apprécie beaucoup se voir dans les gens qui la soigne. En plus pour la qualité des soins, dans certaines situations cela peut aider», dit-il.
Il cite même des études aux É.-U. qui montrent qu’il y a moins de mortalité infantile dans les communautés noires quand le médecin accoucheur est noir. Il y a des bénéfices également pour la publique selon lui dans la mesure où les gens se confient plus sur leur maladie dans de telles situations
« Cette question ne m’a jamais été dite explicitement. Mais on rencontre des enjeux ou on traite des infections chroniques, puis on sent que dans certaines communautés culturelles c’est tabou. Est-ce que mon identité comme homme blanc peut jouer dans la relation thérapeutique… possiblement», conclut le Dr Leduc.
Le Plan d’action a été élaboré en collaboration avec le Sommet Afro.