Son rêve de devenir policier miné par le profilage racial
Profilé par les corps de police de Repentigny et de Montréal entre 2017 et 2019, Stanley Jossirain voit sa carrière professionnelle plomber par ses causes qu’il a pourtant gagnées. Toutes. Paradoxalement, il a toujours voulu devenir policier. Et comme de fait, M. Jossirain a terminé une formation en Techniques policières, en Ontario, mais n’arrive pas à intégrer un corps de police au Québec où il est né.
En mars 2019, il avait poursuivi la Ville de Repentigny et ses policiers pour 200 000 dollars à travers six plaintes pour profilage racial après avoir obtenu gain de cause devant la Commission des droits de la personne et des dcroits de la jeunesse (CDPDJ). La Commission avait renvoyé la cause opar devant le tribunal pour être jugée. L’administration municipale de Repentigny vient de conclure une entente à l’amiable avec lui, assortie de confidentialité. De plus, M. Jossirain vient de gagner également contre la Ville de Montréal.
Dans une décision de 22 pages rendue le 12 mars dernier, le Tribunal administratif de déontologie policière (TADP) a condamné deux policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour profilage racial à l’endroit de M. Jossirain, des faits qui remontent à 2019.
Le juge administratif Benoit Mahon impose une suspension d’un total de 36 jours au sergent Michael Mayer et d’un total de 33 jours à l’agent Carlos-Antonio Flores. Alors qu’ils se rendaient en voiture à une partie de hockey-balle à Montréal-Nord, Stanley Jossirain et ses trois amis noirs ont été interceptés par une patrouille qui avait fait demi-tour en les voyant. Or, ils n’«avaient commis aucune infraction au Code de sécurité routière » selon le juge.
Alors que l’agent Flores abordait M. Jossirain pour demander ses papiers, l’agent Mayer demandait aux passagers de s’identifier. L’un des passagers remettait sa carte d’assurance-maladie à l’agent Mayer, un autre refusait.
Après avoir enquêté sur les occupants du véhicule, l’agent Mayer rendait la carte d’assurance maladie à l’un des passagers, laquelle était sectionnée en deux.
Les deux policiers donnaient ensuite deux constats d’infraction à monsieur Jossirain, le premier lui reprochant d’avoir omis de signaler une intention de changer de voie et le deuxième pour entrave de l’action d’un agent de la paix. Or, la cour municipale l’a acquitté de ces deux billets.
Avec l’aide du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), Stanley Jossirain a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) et du Commissaire à la déontologie policière. Notons que la plainte auprès de la CDPDJ a fait l’objet d’un règlement l’an dernier.
Perpétuer le profilage
Dans sa décision, le TADP affirme que le comportement adopté par les policiers et notamment le fait d’avoir fait demi-tour et d’avoir insisté pour que les passagers s’identifient, tout comme la destruction de la carte d’assurance maladie, sont des indicateurs du profilage racial vécu par monsieur Jossirain, peut-on lire dans le paragraphe 23 du jugement.
De plus, ces dossiers de profilage racial restent et demeurent un boulet au pied du jeune noir. Alors que c’est lui qui se faisait arrêter, intercepter sans raison par la police sur le plan professionnel
«Le fait que j’ai dénoncé ce que j’ai vécu, au sein de la police de Montréal c’est sûr que c’est une porte qui est déjà fermée. J’ai postulé et tout cela est remonté à la surface et on m’a dit que je ne pouvais pas postuler pour la ville de Montréal», déplore le jeune homme noir lors d’une conversation avec le Média des nouveaux Canadiens (MNC). «J’imagine que c’est la même chose pour Repentigny aussi», ajoute-t-il.
Le directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), Fo Niémi, se dit très encouragé par la dénonciation très ferme du profilage racial et par des sanctions sévères imposé par le Tribunal. Selon lui, il s’agit d’un message très clair selon lequel le profilage racial est « une attaque directe aux valeurs protégées notamment par la Charte des droits et libertés de la personne ».
Mais, fait-il remarquer, les dossiers de profilage racial ont des conséquences pendant trop longtemps sur la vie des victimes.
«Les traces de profilage dans les banques de données policières peuvent perpétuer le profilage racial et portent atteinte à la réputation à long terme pour des fins professionnelles», note le défenseur des droits de la personne.
« Obstacle au maintien de la paix »
La plupart des sociétés d’État ou privées réclament une enquête de sécurité ou un certificat de bonne conduite à l’embauche. Au sein du SPVM, les prérequis exigés à la fonction policière demandent que le candidat n’ait pas «de casier judiciaire ».
«Cela implique, plaide Fo Niémi, une révision en profondeur de la notion de bonne conduite et dans le cas de M. Jossirain, l’étiquette négative sur son image, sa réputation est due à la pratique discriminatoire de la police elle-même».
Le directeur du CRARR rappelle un autre cas similaire ou une jeune femme noire, étudiante à Mc-Gill a été violemment interpellée par les agents du Métro. Elle s’est retrouvée avec des accusations criminelles devant la Cour, alors qu’elle cherchait du travail au même moment à la banque. «La police ne lui a pas émis un certificat de bonne conduite en raison de son affaire pendante devant la justice ». Or, elle a gagné sa cause devant la cour municipale, mais a perdu un emploi
« L’impact du profilage racial sur la vie personnelle et professionnelle des gens est bien réel», rappelle Fo Niémi. Par ailleurs, dans sa décision, le TADP reconnaît que le profilage racial « nuit à l’image de la police et (…) mine le système de justice dans son ensemble » également.
Il « contribue au développement de sentiments (…) de méfiance envers la police » «en renforçant le sentiment d’insécurité des personnes racisées. Le juge Mahon estime aussi qu’il « perpétue la criminalisation » et que « le policier qui commet cette faute déontologique devient ainsi un obstacle au maintien de la paix, de l’ordre et de la sécurité publique ».
Respect des droits fondamentaux
Le SPVM de son côté se refuse à tout commentaire « sur des cas précis mais tient à rassurer les citoyennes et citoyens que «l’exercice de droits fondamentaux n’influence en aucune façon l’acceptation ou le refus d’une candidature pour un emploi de policier au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)».
Le corps policier soulignen toutefois que son processus d’embauche est rigoureux et comprend les étapes suivantes :
– Entrevue de sélection
– Évaluation médicale
– Évaluation linguistique
– Accréditation sécuritaire (enquête de sécurité)
– Analyse globale du dossier
Une recommandation positive ou négative sera émise à la suite de l’analyse de l’ensemble des étapes de ce processus note le SPVM. « Nous tenons à réitérer l’importance que nous accordons au respect des meilleures pratiques en termes de gestion des ressources humaines. Nous tenons à offrir à nos policières et policiers ainsi qu’aux candidates et candidats qui passent par le processus d’embauche le traitement le plus juste et équitable possible dans le respect des lois et règlements en vigueur et des critères établis », indique la porte-parole, Caroline Labbelle, dans un courriel à In Texto.
Elle invite enfin toute personne qui a complété le processus d’embauche et qui aurait des questions sur celui-ci à communiquer avec l’équipe du recrutement à recrutement@spvm.qc.ca.