Jeunes noirs au Québec: des données qui «choquent»
Des données « choquantes » sur la discrimination dans les services publics (santé, éducation, transport en commun) l’accès à la justice, mais aussi par rapport à la suffisance des revenus, l’opportunité entrepreneuriale, entre autres sur les jeunes noirs du Québec ont été présentées par la firme Léger lors du 8e Sommet Afro, à Montréal.
Des chiffres sur la culture, le sentiment d’appartenance à leurs communautés, l’implication des jeunes dans leur milieu ont également été livrés, ce qui a suscité de nombreuses réactions de politiciens et personnalités de la communauté noire comme l’ancienne gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean.
Au chapitre du revenu suffisant, autrement dit de la pauvreté, seulement 55% des jeunes noirs estiment en avoir contre 75% des jeunes du «groupe contrôle », c’est-à-dire autres que noirs. On y retrouve les Latinos, les Maghrébins et les Blancs, entre autres.
« Il s’agit là de besoins primaires », souligne le président du Sommet Édouard Staco qui faisait des incursions répétées pour des besoins de « pédagogie » dans la présentation de Mélanie Bériault Poirier, vice-présidente adjointe de la firme Léger.
« Générosité » dans la discrimination
-Interrogé sur leur sentiment de discrimination dans la société, les jeunes sont 83 % à le vivre au moins une fois, la majorité plus d’une fois et 1 sur 5 se sent souvent discriminé en lien avec son identité. En revanche, seulement 60% des jeunes du groupe contrôle disent ne jamais ressentir de telle chose.
-Dans les services publics (santé, éducation, transport…), on parle de 66% qui estiment avoir vécu de la discrimination avec les services, 46 % plus d’une fois et 1 sur 10 souvent. Or, dans l’autre groupe, 71% ne l’ont jamais vécu.
-Au niveau des « Contact avec la DPJ », on retrouve 15% des Noirs qui disent oui contre une proportion presque similaire de l’autre groupe , soit 14%. Toutefois on a un pourcentage, deux fois plus élevé, 8% de jeunes noirs qui ont eu une expérience avec la DPJ, mais en tant qu’« enfant signalé » versus 4% chez l’autre groupe.
« Soit dit en passant, si vous voulez contester les chiffres, ça va mal au Québec. Léger fait des sondages partout et je ne vois pas pourquoi ceux-là ne seraient pas bons, juste là», a lancé Édouard Staco .
«On a toutes les données, mais j’ai tendance à croire que la discrimination, en particulier, il y a de la générosité là-dedans», a ponctué M.Staco.
Léger a mené ce coup de sonde auprès de 961 jeunes noirs du Québec et 500 du « groupe contrôle ». « Ce n’est pas un échantillon de jeunes qu’on est allé chercher sur les médias sociaux. De manière générale, en matière électorale, on consulte un millier de personnes et nos résultats se rapprochent le plus souvent de la réalité», a souligné Mme Bériault poirier.
« C’est révoltant! »
Ils ont été interrogés sur une panoplie de sujets comme leur environnement physique de vie comme leur logement, leur quartier. Au total, 66% d’entre eux estiment qu’il est « bon », tandis 33 le juge même « très bon». En comparaison, l’autre groupe le qualifie de « bon » à 84%.
Quand on essaie de mesurer leur intérêt et l’opportunité d’entreprendre, ils sont 18% des noirs à dire « oui » contre seulement 11% de l’autre groupe. Il y a un certain intérêt chez les jeunes noirs à s’impliquer dans les arts, la culture, les organismes, dans leur communauté. Ils ressentent une appartenance à leur communauté aussi, révèle l’étude.
«Ce n’est pas un passeport pour dire qu’ils vont se débrouiller tout seul», avertit le président du Sommet des jeunes. Les Noirs se plaignent du manque d’espace culturel dans leur quartier. 57% d’entre eux se disent satisfait du nombre d’endroits contre 83% dans le groupe contrôle.
«Ils sont intéressés, mais il y a moins d’espaces », a dit E. Staco relevant, du même souffle, qu’il y va de « la santé mentale » lorsqu’il se font discriminer dans leur propre pays. «Quand vous vivez de la discrimination 7 fois plus souvent, que vous vivez de la discrimination, un jeune noir, quand vous regardez cela c’est révoltant.»
Au sujet de la discrimination dans les services publics:
«Ici on parle des gouvernements face aux citoyens. À la base c’est l’État qui offre ces services-là… Comment un jeune peut réussir en toute égalité des chances?, c’est inacceptable! »- Édouard Staco.
Nombreuses réactions
Les réactions à ces chiffres ont été légion. À commencer par le ministre québécois de la lutte au racisme, Christopher Skeete. « Vous constatez comme moi qu’il y a du travail à faire et c’est important qu’on le fasse ensemble, dit-il, et j’ai hâte de collaborer davantage avec vous pour cibler les indicateurs clés et faire bouger l’aiguille ».
La vice-présidente de la Commission des droits de la personne, Myrlande Pierre, qui assistait au Sommet a qualifié de « troublants » les chiffres. Elle fait remarquer que dans le dernier bilan présenté par la Commission à ce sujet, les données sont les mêmes et que depuis une vingtaine d’années l’«aiguille » n’a pas bougé.
« Cette perspective quantitative amène une compréhension holistique des problématiques vécues par les jeunes noirs. Ce qui est troublant et choquant c’est que ce même constat qu’on a eu dans les années 2000 perdure. Cette persistance des inégalités et des disparités doit interpeller la société québécoise », a plaidé Mme Pierre.
L’ancienne gouverneure générale du Canada Michaëlle Jean a réagi aussi aux données. Elle invite la communauté à prendre en compte la souffrance et le stress que la discrimination occasionne pour les jeunes qui la vivent au quotidien.
«Ce que je trouve absolument remarquable dans cette étude, c’est comment la parole a été donnée aux jeunes et comment l’on se fie aussi, pour bien guider dans les actions que nous menons, à leur contribution au leadership collectif qui est le nôtre »- M. Jean.
Ce sondage réalisé par la firme Léger a été commandé par l’Observatoire des communautés noires, une filiale du Sommet Afro.