Une relève percutante pour la Maison d’Haïti

Le Conseil d’administration de la Maison d’Haïti annonce la nomination de Mme Arcelle Appolon à titre de nouvelle directrice générale. Au terme d’une carrière de plus de 40 ans d’indéfectible engagement, Marjorie Villefranche, celle qui « a vu et fait grandir la Maison », tire sa révérence pour une retraite bien méritée à 72 ans. Au cours de ces années, elle a vu et a fait grandir la Maison d’Haïti.
C’est le président du CA M. Gérald Calixte, qui en fait l’annonce de l’arrivée de Mme Apollon à la tête de l’organisme. «Le comité de sélection responsable du processus de dotation a retrouvé chez cette dernière tous les attributs reliés aux critères du poste », écrit la MdH dans un communiqué.
Mme Appolon prendra la relève de Mme Villefranche qui l’accompagnera dans cette transition, à compter du 5 mai 2025. Gestionnaire dynamique et engagée, Arcelle Appolon se distingue par une trajectoire professionnelle alliant le service public et l’engagement communautaire.
Cadre à la Ville de Montréal depuis plus de 11 ans, elle dirige le Bureau Accès Montréal de l’Arrondissement de Mercier – Hochelaga – Maisonneuve depuis 2022. Elle pilote aussi des projets d’envergure dans le secteur communautaire, notamment en inclusion numérique, leadership jeunesse et en gestion. Elle dirige l’Académie de leadership Louverture-Mandela du Fonds 1804 et coordonne la Concertation haïtienne pour les migrant.e.s (CHPM).
Impliquée en gouvernance en contexte professionnel et communautaire, elle est Première vice-présidente du Fonds 1804 pour la persévérance scolaire, administratrice de l’Association des cadres municipaux de la Ville de Montréal et de la Maison d’Haïti. Elle a aussi présidé le Comité international pour la promotion du créole et de l’alphabétisation (KEPKAA) et le Mois du créole à Montréal.
Détentrice d’un baccalauréat de l’Université du Québec à Montréal, elle est l’auteure du livre jeunesse bilingue (créole haïtien – français), Les aventures de Nanou et Ti Ko. Ses réalisations ont été reconnues à plusieurs occasions, dont à titre de lauréate du Mois de l’histoire des Noir.e.s en 2024.
« Je suis très heureuse de ce choix. Arcelle est la personne idéale pour ce poste, elle très engagée dans sa communauté ainsi qu’à la Maison d’Haïti, en plus d’être une gestionnaire hors pair », estime Mme Villefranche, la directrice sortante.
« J’ai très hâte de travailler avec elle. Cette période de transition sera l’occasion de lui transmettre tous les rouages et surtout de partager avec elle ma grande passion pour notre chère Maison d’Haïti. Je sais qu’elle est déjà prête à assurer cette fonction. », ajoute-t-elle.
« C’est avec humilité et détermination que je me joins à l’équipe d’employé.e.s et de bénévoles dévoué.e.s de la Maison d’Haïti, afin de contribuer à la vision de celles et ceux qui ont façonné cette organisation au fil des décennies », indique d pour sa part, celle qui arrive à peine au timon des affaires de l’organisme.
Arcelle Appolon estime « qu’il s’agit d’un véritable privilège de pouvoir participer au développement et à la pérennité de ce pilier de nos communautés ».
Marjorie Villefranche: 60 ans de militantisme communautaire

Placée en 1964 par ses parents dans un couvent à Montréal, à l’âge de 12 ans, Marjorie Villefranche s’ennuyait à mourir et brûlait déjà de militantisme et d’envie de savoir qui elle est. «À cet âge-là, on ne connait pas vraiment sa culture», soutient la femme de 72 ans aujourd’hui.
Une fois sortie de ce pensionnat, après 5 ans, la jeune Marjorie se cherche et a une soif identitaire débordante. C’est sa rencontre avec Adeline Chancy, considérée comme «la première Maison d’Haïti», qui lui a permis de retrouver sa voie, renouer avec sa culture.
Mme Chancy l’a invitée à passer à l’organisme qui était à ses balbutiements et elle dit avoir été «chanceuse» de faire la rencontre de cette enseignante et militante comme elle.
«En fait, je suis arrivée à la Maison d’Haïti presque à sa fondation. Mais comme une jeune femme qui avait besoin d’aide et qui se cherchait. Car, vers dans les années 60, il n’y avait pas de Noirs comme modèle pour nous», affirme celle qui dirige aujourd’hui cet organisme phare de la communauté haïtienne.
Ses causes
Elle a commencé bénévolement avec son projet «Ti pye zorany» (petit oranger), une activité culturelle destinée aux enfants. «On était une bande de très jeunes parents. Et dans notre tête on allait retourner en Haïti. Il fallait pour nous transmettre la culture haïtienne aux enfants pour qu’ils ne se sentent pas perdus à leur arrivée.»
Marjorie Villefranche a étudié en philosophie et histoire de l’art. Mais c’est dans le militantisme qu’elle a trouvé son chemin, sa vraie vocation. Sa première cause a été la lutte contre la déportation, en 1973, de plus de 2000 Haïtiens. Le 15 août 1973, le premier ministre canadien Pierre Elliot Trudeau retire aux visiteurs venus après le 30 août 1972 la possibilité de faire une demande de résidence permanente, ce qui place des centaines de ressortissants haïtiens sous le coup de déportation.
Une manifestation est organisée à Ottawa et Marjorie Villefranche enfourche sa pancarte pour protester contre cette décision de M. Trudeau.
Ensuite, on la retrouve dans la lutte contre le racisme envers les chauffeurs de taxi haïtiens ainsi que la stigmatisation de la communauté haïtienne, associée au VIH. Au début des années 80 (soit 1981), Mike Gottlieb dans le Morbidity Mortality Weekly Report avait évoqué la très grande fréquence de la maladie du sida parmi les immigrés haïtiens aux États-Unis.
On avait alors spéculé que la nouvelle maladie mystérieuse des 4H (Haïtiens, homosexuels, hémophiles, héroïnomanes) pouvait avoir comme origine l’île d’Haïti. Les répercussions se font sentir jusqu’au Canada, à Montréal, en particulier. Les conséquences touchaient même les funérailles des membres de la communauté haïtienne à Montréal. Les embaumeurs n’en voulaient pas, sauf Magnus Poirrier. Mme Villefranche était de cette lutte également contre la stigmatisation des Haïtiens tout comme celle qui touche encore les jeunes de la communauté associés trop souvent au gang de rue.
«On a toujours une lutte à mener tant que les personnes d’origine haïtienne et immigrante ne sont pas acceptées comme citoyens, qu’on les pousse dans des zones d’exclusion», croit la militante aguerrie.
Son mentor et son modèle
Contrairement à ce que l’actuelle génération pourrait penser, Marjorie Villefranche ne dirige pas la Maison d’Haïti depuis si longtemps: 2010 en fait. C’est plutôt Célita Toussaint, son «modèle», qui a mené cette maison «d’une main de maître» jusqu’à sa retraite.
«Il n’y a pas un jour qui passe sans que je pense à elle à chaque fois que je mets les pieds à la Maison d’Haïti. C’est une force tranquille, moi je suis un peu plus… Même s’il y avait des difficultés, elle était toujours calme», témoigne Mme Villefranche. Si Mme Toussaint a té son modèle, Adeline Chancy, quant à elle, était son mentor.
«Adeline a une idée à la seconde et cela je l’ai pris d’elle»-M. Villefranche. Lorsqu’on lui demande si elle compte accrocher ses pancartes bientôt ou si elle souhaite continuer, la militante répond avec nuance.
«Physiquement pas pour longtemps, mais je serai là…, dit-elle aux éclats de rire, je serai toujours là, c’est clair. La bataille n’est pas finie».
Encadré
Au cours de sa carrière de militante au Québec, Marjorie Villefranche s’est absentée pendant une période de 4 ans pour aller travailler en Haïti avec Adeline Chancy alors qu’elle était secrétaire d’État à l’alphabétisation.
Dans les années 80, elle a été présidente du Conseil d’administration (CA) de la maison d’Haïti avant d’en devenir la directrice depuis une quinzaine d’années.
Elle a été embauchée par l’organisme en 1983 lors de son déménagement dans Saint-Michel, ce qui fait que c’est le quartier de Montréal qu’elle connait le mieux. Elle était à ce moment-là directrice des programmes.
Marjorie Villefranche a deux enfants et cinq petits-enfants. À l’âge de 20 ans, il entre à la maison comme militante.