Assassinat de J.Moïse: contrôle et manipulation de l’information
Le matin du 8 juillet, lendemain de veille de l’assassinat de Jovenel Moïse, Claude Joseph intervient (par téléphone) au micro de la radio Magik-9 (une station affiliée du quotidien Le Nouvelliste), autour de l’homicide macabre.
Il égrène, mot pour mot et à la virgule près, le texte de sa première communication officielle à la Nation qui confirme la mort du chef de l’État.
À l’autre bout du fil et au micro, le journaliste Robenson Geffrard qui tente de lui lancer une toute première question sur les événements. Claude Joseph lui coupe la parole d’emblée et balance : «Permettez-moi de m’en tenir qu’au texte du communiqué.»
«Je vais faire une adresse à la Nation et demander qu’on se serre les coudes pour que le président Moïse obtienne justice.», ajoute celui qui a les rênes du pouvoir par des circonstances plutôt troubles.
C’est un événement majeur et le journaliste a mille questions qui lui trottent dans les méninges. À vous entendre, ce qui s’est passé a à voir avec les opposants?
«Ce n’est pas ce que j’ai dit. Si vous m’appelez, ne me mettez pas les mots à la bouche.», lance M. Joseph avec colère et dépit avant de raccrocher la ligne au nez du journaliste.
Ici, c’est pas la démocratie
Depuis, celui qui fait office de premier ministre et président de la République cumulés n’a pris aucune question des médias, n’a accordé aucune entrevue. Le chef de la police, Léon Charles, non plus.
Les deux hommes réalisent en commun ou à tour de rôle des « points de presse » : Je déclare, j’affirme ceci, cela et ça finit là.
Aucune question. Car, ici, ce n’est pas la démocratie. Circulez, il n’y a rien à voir, rien à entendre ni rien à vérifier.
Une méthode qui vise à ce que les médias diffusent la même « information officielle». Cette opération a pour but, comme l’indique le lieutenant colonel Steven Collins dans « L’Irak et ses conséquences » dans la Revue de l’OTAN (été 2003), d’ «influencer les attitudes et raisonnements des opinions publiques…, en particulier du peuple.» C’est ce qu’il appelle, dans le cadre de la gestion de la perception, les «PSYOPS» pour opérations psychologiques.
Cette opération haïtienne de gestion de la perception dure depuis plus de huit jours. Les médias haïtiens et étrangers reprennent les mêmes affirmations de Léon Charles et de Claude Joseph, les deux seuls maîtres à bord, alors que la classe politique se bat sur le cadavre de Jovenel Moïse pour prendre sa place.
Mais, «le problème, comme dans toutes les opérations liées au Psyops, réside dans la difficulté de déterminer l’impact réel d’une action de ce type.», note le colonel Collins.
Certains, parmi les médias, n’interrogent même pas, voire vérifier l’authenticité ou la logique de ce qu’annoncent les officiels haïtiens. Comme cet enregistrement audio attribué à Martine Moïse, la veuve de Jovenel Moïse, dans lequel elle aurait appelé le peuple à poursuivre la bataille de son mari.
Les officiels haïtiens ont rendu l’audio public le vendredi 9 juillet, soit deux jours après l’assassinat de son mari, alors qu’elle est alitée avec trois balles dans le corps depuis l’assaut contre sa résidence et qu’on craignait pour sa vie. Le lendemain samedi, elle devait avoir une opération chirurgicale.
La voix qu’on entend, porte, a de la vigueur et aucun bruit de fond d’un hôpital n’est perceptible dans l’audio et observe très peu d’émotions, ce qui laisse penser à une imitation.
« Irréfutable »?
Depuis 1915, Haïti n’a pas connu un événement d’une telle ampleur: l’assassinat d’un président en exercice (de facto ou légitime).
Ce sont des situations qui peuvent provoquer des élans patriotiques ou d’unité nationale comme dans le cas de la guerre en Irak livrée par les États-Unis. C’est ce que le journal LalibreBelgique appelle « Le suivisme patriotique de la presse américaine »
« Irréfutable », c’est qu’avait titré le Washington Post au lendemain du discours de Collin Powell qui mentait pourtant, comme un arracheur de dents, devant le Conseil de sécurité des Nations unies le 5 février 2003.
« L’arsenal irakien n’existait que sur le papier », reprenait le journal dans une tentative de mea culpa.
Le New York Times faisait le même exercice en se demandant : »Comment est-ce qu’on en est arrivé là? »
La réponse est dans l’analyse de Stéphanie Fontenoy, journaliste à la LibreBelgique dans son article « Le suivisme patriotique lors de la guerre en Irak a écorné la crédibilité de la presse», paru le 28 octobre 2004.
« Patriotisme, course au scoop et chasse à l’audience, information spectacle des grandes chaînes de télévision commerciales, concentration des médias dans les mains d’investisseurs privés et proches du pouvoir, tout concourt à faire de l’actualité une marchandise… »-S Fontenoy.
Comme dans le cas de l’assassinat de Jovenel Moïse, la presse, obnubilée par l’ampleur de l’événement ne prend, ne s’offre pas de recul, ne s’interroge pas, ce que le journalisme considère comme une « falsification » de l’information. Une démarche qui veut qu’on remette en question tout ce qu’on entend.
Pas nécessairement parce que l’on croit que c’est faux, mais question de vérifier.
C’est la responsabilité première d’un journaliste.