Attaquer le racisme par la racine: un défi au Québec
Photo: Jacques Nadeau, Le Devoir
Après 23 ans d’actions contre le racisme, les autorités québécoises et montréalaises peinent à atteindre les cibles en matière de représentativité des minorités visibles et ethniques dans la fonction publique mais évoquent des petits succès ou « de belles avancées », en ce sens.
Québec affirme être passé de 11%, au cours de la dernière année à 14% de présence de minorité visibles dans la fonction publique tandis que Montréal souligne que 14,4% (en 2020) de l’effectif total des employés de la Ville viennent des minorités visibles pour un objectif de 17 à 18% de la population.
« Cela peut sembler peu, reconnait Benoit Charrette, ministre de la lutte au racisme, mais lorsqu’on se rappelle qu’on stagnait depuis des années, c’est une avancée qui, à mon sens, est remarquable. »
« Une façon importante de lutter contre le racisme », selon le ministre Charrette se retrouve dans les portefeuilles alloués dans la dernière mise à jour économique du gouvernement québécois.
Au total, 200 millions de dollars ont été budgétisés pour des actions de lutte contre le racisme, dont 20 millions au profit de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ afin de pouvoir réduire les délais de traitement de plaintes des victimes de profilage racial et social.
Le ministre Charrette, dont la femme est Noire, a déjà été victime de racisme par association lorsqu’un propriétaire de logement avait refusé de louer un appartement à la famille. Un de ses enfants a même déjà été victime de profilage au volant.
À coup de Loi
Benoit Charrette évoque la Loi 60, sanctionnée le 20 avril 2021 par l’assemblée nationale, et qui vise à éliminer le processus de qualification et à le remplacer par un processus de sélection.
La notion de banque de personnes qualifiées sera éliminée; des offres d'emploi précises au recrutement et à la promotion seront désormais publiées entre autres mesures.
Dans la plupart des sociétés d’État, il y a eu un effort visant à augmenter la représentativité dans les Conseil d’administration. Le ministre cite en exemple la Commission de construction du Québec, dans le domaine de l’Agriculture, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ ) avec Conrad Sioui un ancien chef autochtone.
De plus, rappelle-t-il, la ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault a déposé, en décembre dernier, un projet de loi qui viendra encadrer les interpellations policières grâce à des changements qui seront apportés au Code de la sécurité routière, véritable machine à profilage.
« On souhait qu’elle soit adoptée au plus tard en juin. » dit le ministre de la lutte au racisme.
Benoit Charrette jure que le gouvernement caquiste ne compte pas s’arrêter là et que les efforts doivent se poursuivre dans ce domaine.
« Il y a, en ce moment, toute une sensibilité socialement sur le fait que cela n’a pas d’allure de se faire discriminer. », estime Bochra Manai, commissaire à la lutte au racisme à la Ville de Montréal.
Attaquer le racisme par la racine
Les 38 recommandations de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), en vue d’enrayer le racisme systémique, lui sert de toile de fonds de boussole depuis un an. « Voyez-vous? Je ne suis pas arrivée les mains vides. »
Sur la quarantaine de mesures proposées, il y en a une dizaine qui sont déjà « réalisées, entérinée, appliquées » et autant qui sont « en cours de réalisation. »
• La reconnaissance formelle du caractère systémique du racisme et des discriminations par le conseil municipal;
• La nomination d’une élue responsable du dossier au comité exécutif;
• La création du Bureau de la commissaire à la lutte au racisme et aux discriminations systémiques et la nomination de sa commissaire;
• La modification de la Charte montréalaise des droits et responsabilités;
• L’adoption de cibles ambitieuses d’embauche, de promotion et de représentation dans le cadre du Plan directeur pour la diversité, l’équité et l’inclusion en emploi 2021-2023;
• L’adoption de la première politique sur les interpellations policières au Québec.
Au-delà de ces questions qui visent à améliorer les relations de la Ville avec les citoyens dans une perspective de lutte au racisme, Bochra Manai prône en amont, un redressement de la situation à l’interne en matière de discrimination et de profilage.
De plus en 2022, la commissaire souhaite mettre le focus sur la dotation de cadres, de gestionnaires, de chefs de division parmi tant d’autres.
Une attention sera mise sur le processus de plaintes, notamment en matière de profilage et de discrimination, afin de s’assurer que les victimes potentielles « soient écoutées ».
La question du profilage est au cœur de la nouvelle gouvernance instaurée par l’administration de Valérie Plante assure la commissaire Manai.
En entrevue à In Texto, elle annonce qu’une nouvelle structure de gestion, la Direction générale adjointe (DGA) sera mise en place afin d’encadrer la direction du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour mieux adresser la question du profilage.
« Cela ne peut pas être une petite équipe qui travaille là-dessus. Ça doit percoler de la direction de ce service. Il faut que ce soit une prérogative et un enjeu prioritaire de ce service. », dit-elle
Mais avant toute chose, la Ville doit éradiquer le racisme et la discrimination «au sein même des employés », à l’interne.
« Je suis convaincue qu’il y a une détermination à faire de ces questions-là, pas juste un sujet d’actualité, mais une transformation incarnée. », dit Bochara Manai
Bien qu’il reconnaisse qu’il reste beaucoup à faire, le ministre de la lutte au racisme abonde dans le même sens et rappelle que « la société québécoise n’est pas que blanche, n’est pas que francophone. »
« Il y a eu des avancées mais ce n’est pas suffisant. Il faut adopter le projet de loi en question sur les interpellations policières, il faut multiplier les initiatives comme au sein de la police de Longueuil. », avance Benoit Charette
Depuis juin 2021, Policiers RESO, un projet pilote de 3,6 millions de dollars basé sur une approche psychosociale et communautaire est en expérimentation dans cette ville, ce qui pourrait jeter les bases d’un nouveau modèle policier au Québec. Trente policiers sans leurs armes ni leurs uniformes pendant seulement les 5 semaines qui dure le stage IMMERSION ont patrouillé dans les rues, comme en Angleterre et au pays de Galles.
Il s’agit d’un stage de 5 semaines complètes effectué au sein de la communauté, afin de mieux découvrir leur environnement, les organismes communautaires, les familles avec un enfant handicapé, les groupes religieux de l’agglomération de Longueuil, etc.
Lorsqu’ils sont devenus RÉSO, ils sont allés sur le terrain en uniformes et armés comme n’importe quel autre policier, mais avec une mission différente.
« Moi, je suis optimiste pour la suite tout en me disant que le travail n’est pas terminé. »
Réfugiés Blancs et Noirs
La 23e édition de la Semaine d’actions contre le racisme (SACR a été réalisée cette année sous le thème « Accueil des réfugiés et migrants au Québec. »
Son président Frantz Voltaire note qu’« il y a des changements, des reculs, des avancées » dans la lutte mais que «les débats ont évolué »
Toutefois dans le contexte de la guerre en Ukraine et l’accueil des réfugiés, M.Voltaire dit noter une politique de « deux couleurs deux mesures»
« On voudrait bien que l’accueil donné aux Ukrainiens soit appliqué à tout le monde. Mais on voit toujours ce que j’appellerais un traitement double. Les musulmans sont traités différemment tout comme les Noirs sont traités différemment. » - F Voltaire, président de la SACR
Les réfugiés haïtiens sur le chemin Roxham ne sont pas traités de la même manière non plus ajoute l’historien.
Elles ont dit
« Il y a eu des résistances, ce n’était pas tout rose tous les jours, mais cela fait partie du changement. » – Bochra Manai, commissaire à la lutte au racisme
« Les 38 recommandations de l’OCPM initient la transformation » -Dominique Olivier, présidente du Conseil exécutif