Canada : les demandes de résidence des Haïtiens traitées au second plan
D’un an, les délais pour obtenir une réponse d’Immigration Canada à une demande de résidence sont passés à facilement deux, si on est chanceux selon Maryline Kernizan. Après avoir travaillé pendant près de 20 ans au Bureau d’immigration de Port-au-Prince, elle a fondé la firme de consultation en immigration MK Solution au Canada depuis quelques années.
Mme Kernizan affirme à In Texto qu’elle n’a jamais connu de délai aussi long en immigration. Idem pour François Jean-Denis, un autre consultant depuis une vingtaine d’années qui dirige Vision Max services.
Dans un rapport de la Vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan, publié cette semaine, sur les délais excessifs de traitement de demandes, elle affirme que «la quasi-totalité des demandes de personnes d’origine haïtienne étaient acheminées vers le traitement manuel, et ces personnes attendaient deux fois plus longtemps avant de recevoir une décision définitive.»
Elle dit constater que les demandes faites de manière automatisée avaient été réglées, en moyenne, environ deux mois plus rapidement que les autres qui faisaient l’objet d’une évaluation manuelle de la recevabilité. Celles-là «étaient laissées-pour-compte» et que le ministère «n’avait pas de plan pour réduire cet écart dans la mesure du possible.»
Un problème de bras
L’outil mis en place par IRCC orientait les demandes des personnes originaires de certains pays vers le traitement manuel à des taux plus élevés et que les délais de traitement de ces demandes étaient plus longs que la moyenne, note la Vérificatrice.
«Je trouve cela bizarre, nous dit en entrevue François Jean-Denis, car depuis deux à trois ans, le processus est numérisé pour tout le monde.» Selon lui, le problème est ailleurs que dans le traitement manuel des demandes.
«Le vrai problème est que le fédéral devrait investir plus à l’embauche. Car, même si le processus est automatisé, cela prend des bras pour les traiter et les finaliser, les demandes», fait remarquer le consultant d’expérience.
Il prône un investissement plus significatifs, à même les frais de traitement des demandes, dans l’embauche de plus de fonctionnaires.
Les frais de traitement d’une demande de résidence sont passés de 550 à 570 dollars, soit une hausse de 20 dollars, tandis que les frais d’établissement ont connus la même augmentation de 20 dollars : 490 à 515 dollars. Pour M. Jean-Denis, IRCC devrait soit consentir la moitié de cette somme à l’embauche ou l’augmenter de façon significative afin de pouvoir régler «ce problème qui fait que l’image du Canada soit ternie à l’étranger en raison des délais.»
Numérisées mais pas automatisées
Dans un courriel au journal, le Bureau de la vérificatrice générale précise que l’audit a porté sur la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2022 et qu’il s’agit de la période à laquelle s’applique la conclusion de l’audit.
Le rapport indique que « la quasi-totalité des demandes de personnes d’origine haïtienne étaient acheminées vers le traitement manuel… » mais cependant «cela ne veut pas dire que les demandes étaient traitées en format papier», note le porte-parole, Vincent Frigon.
«En fait, les demandes pouvaient être en format numérique mais elles étaient traitées manuellement, c’est-à-dire par des employés plutôt que par l’outil automatisé», explique M.Frigon.
Ce problème est survenu depuis que le régime de Stephen Harper avait décidé de fermer, en 2012, tous les bureaux régionaux de traitement qui permettait une déconcentration des services. Et malgré des changements de régime et de ministre le problème perdure et demeure.
Le Québec…
Dans une Déclaration communiqué aux médias, l’actuel ministre canadien de l’Immigration, Marc Miller, affirme que le travail la Vérificatrice générale «met en lumière des aspects critiques de nos politiques et procédures en matière d’immigration.»
Il dit toutefois avoir accordé la priorité à l’amélioration des délais de traitement et du service à la clientèle afin de renforcer le système d’immigration. «Notre objectif est de traiter 80 % de toutes les demandes conformément aux normes de service, et nous faisons des progrès constants vers l’atteinte de cette cible», a-t-il déclaré.
Mais dans tout cela il reste et demeure la problématique avec le Québec qui, dans le cadre d’une Entente sur le processus d’immigration, choisit ses immigrants. Actuellement, le gouvernement de François Legault applique «en prendre moins et en prendre soin», une politique de baisse minimale du seuil de nouveaux arrivants mais augmente le nombre de travailleurs temporaires étrangers.
À cet effet, M. Miller note que «plus de 80 % des demandes des époux, conjoints de fait et enfants (sauf pour le Québec) reçues depuis avril 2022 ont été traitées conformément aux normes de service.»
- En 2022, le Canada a atteint sa cible d’admission de 431 645 nouvelles résidentes permanentes et nouveaux résidents permanents. En 2025, il s’attend à en accueillir 500 000.
- Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada assure le traitement des demandes de résidence permanente par l’entremise de 87 bureaux comptant un effectif total d’environ 2 600 personnes au Canada et à l’étranger.
- À la fin de 2022, environ 99 000 demandes au titre des programmes pour les réfugiés étaient toujours en attente de traitement. Les délais de traitement des demandes au titre de ces programmes étaient de près de trois ans en moyenne.
«Le rapport du Bureau du vérificateur général nous rappelle que nous devons honorer nos promesses et faire en sorte que le Canada continue d’être une destination accueillante et inclusive pour les gens qui cherchent à se bâtir une nouvelle vie.»