De la DPJ au tapis rouge

L’acteur vedette de « Kanaval », Ryan Dieudonné, 12 ans, a déjà passé une journée dans le système de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) avec sa petite sœur Jade, en 2022, à la suite d’un signalement.
«Je préparais à manger pour lui lorsque j’ai reçu un appel. La personne m’a demandé de m’identifier et après quoi, elle m’a dit: nous sommes de la DPJ et nous avons vos enfants », raconte sa mère, Pascale Louis-Jeune qui vient de terminer, quant à elle, des études en soins infirmiers.
Elle venait de traverser 12 pays d’Amérique latine, en 2018, après avoir passé trois ans au Venezuela pour arriver au Canada. Mme Louis-Jeune ne comprenait pas encore comment cela fonctionne avec les enfants ici.
C’est le Bureau de la communauté haïtienne de Montréal (BCHM) à travers son programme Option protection qui lui a permis d’éviter le pire et d’avoir justement cette option de garder Ryan.
«Si on n’avait pas le BCHM on n’allait pas découvrir son talent. Car, si la DPJ l’avait pris, il n’allait sûrement pas se rendre là : jouer le rôle de Rico dans Kanaval», soutient fièrement aujourd’hui Mme Louis-Jeune.
Ce long-métrage de fiction réalisé par Henri Pardo raconte une nuit de 1975 à Jacmel en Haïti ou Rico, allant à l’encontre des recommandations de sa mère qui l’a averti des dangers potentiels, il s’aventure au Kanaval. Là-bas, il rencontre toutes sortes de légendes ayant pris vie. Quand il revient, sa mère et lui décident de fuir le pays après que celle-ci se soit fait attaquer. Les deux aboutissent dans un village rural québécois, où Rico doit composer avec toutes les nouveautés dans sa vie : de la neige au racisme.
Il se pratiquait devant un miroir
«Cela m’a toujours intéressé et j’aime le cinéma , les films, mais je n’ai jamais pensé que cela arrivera dans ma vie : devenir un acteur de cinéma», nous dit Ryan que nous avons rencontré juste avant le visionnement de presse du film au Musée des beaux-arts de Montréal.
Ses parents n’y avaient jamais pensé non plus. Mais sa mère avait des indices au sujet de son talent caché. «Il aime se tenir devant un miroir pour parler au point où son père demandait : mais ce petit, il est fou ou quoi ?», raconte-t-elle en entrevue avec In Texto.
Une partie du film a été tourné hors du Canada, entre Haïti et la République Dominicaine et au cours de la période scolaire. Pour l’accommoder, l’école lui permet de prendre avec lui des devoirs et de travailler à distance.
« Je faisais mes devoirs pendant les pauses, dit-il, c’est beaucoup pour moi, mais il va falloir m’habituer. J’essaie de rester normal avec mes amis.» Le jeune Ryan y prend goût et veut étudier définitivement pour devenir un acteur de cinéma accompli. Il veut étudier dans cela, mes amis ne me croient pas quand je leur dis que je suis un acteur de cinéma.
«Il est prompt et alerte. Dès qu’on lui dit: action! Il est métamorphosé complètement », raconte l’intervenant social de BCHM qui a aidé la famille auprès de la DPJ et qui l’accompagne toujours dans cette aventure, Charles Bottex.
Le sociologue jouait pratiquement le rôle de ses parents. Sa mère était aux études et son père travaillait pour subvenir au besoin de la famille. Charles Bottex l’accompagnait partout, l’aidait dans ses devoirs en marge du plateau de tournage.

L’histoire de Ryan et d’Henri
Le film qui se déroule dans l’objectif ou du moins «du point de vue » d’un garçon de 9 ans est à la fois l’histoire du réalisateur, mais aussi du jeune acteur principal. Henri Pardo a creusé les souvenirs de sa famille pour accoucher d’un premier jet de son scénario avant de se faire relire par des gens sur place.
« Je fais un retour sur des souvenirs, des dires de mes parents, ma famille, des légendes d’histoire de loa et j’ai eu un énorme plaisir à m’y retrouver, dit-il en entrevue avec In Texto, ce qui est formidable avec le cinéma c’est qu’on peut faire revivre certains trucs qui ont été effacés par l’Histoire.»
C’est aussi l’histoire de dépaysement de Ryan qui suivant ses parents depuis sa naissance en Haïti jusqu’au Venezuela en passant par toute l’Amérique latine avant de poser leur valise au Canada. « Kanaval est inspiré de faits vécus », rappelle le réalisateur Pardo.
Il parle de Ryan comme d’un jeune « rempli d’expériences, d’une belle sagesse, et surtout d’une intelligence et d’une écoute surprenante ». Une dizaine de jeunes ont été auditionnés pour le rôle, mais dès sas rencontre Rico, quelque chose lui disait que ce serait lui.
« Il écoute tout ce qui se passe autour de lui et il oscille entre l’humour et le sérieux. Il est allé au-delà de nos attentes, dit Henri Pardo, c’est beaucoup demandé pour un enfant de manière générale. »
À propos du film
KANAVAL, le premier long-métrage de fiction du réalisateur Henri Pardo est présenté dans les salles du Québec depuis le 3 mai. Kanaval est scénarisé, réalisé et produit par des talents afro-descendants et est fier de contribuer à la pluralité des récits authentiques du Québec.
Connu, entre autres, pour la réalisation et la scénarisation du documentaire Dear Jackie consacré à Jackie Robinson et de la série documentaire Afro-Canada, c’est la première fiction d’Henri Pardo dans un format long-métrage.
Ce drame, brillamment porté par le jeune Rayan Dieudonné dans le rôle de Rico, explore les thèmes de l’immigration, de la famille, de la diversité, de la richesse culturelle de la diaspora haïtienne installée au Québec depuis des décennies et ayant largement contribué à la société québécoise.
« Cette histoire, c’est la mienne, celle de ma mère et de ma famille, celle de notre déracinement d’Haïti. Peu importe d’où nous venons, chaque nouvel arrivant porte en lui une existence riche et parfois merveilleuse qui gagnerait à être mieux connue des pays d’accueil », raconte Henri Pardo.