Haïti : « Keskonfè ? » ou la tristesse d’une comédienne
Ma rencontre avec la comédienne Gaëlle Bien-Aimé n’était pas drôle. Je m’attendais à un avant-goût du rire, quelques jours avant « Keskonfè ? », son spectacle qu’elle présente depuis 2021. Et au tour de Montréal le 18 mai et à Québec le lendemain de l’accueillir. Non. J’ai eu droit à des pleurs qui l’ont démaquillée, des sanglots qui donnent des frissons et mal aux tripes.
« Je suis une personne excessivement triste avec beaucoup d’anxiétés », me lance celle qui fait rire tout un pays et les internautes du monde à travers ses sketchs. Une tristesse qu’elle trimballe depuis 2017. Depuis sept ans, le temps depuis qu’elle s’est rendue compte «que ce serait difficile de vivre en Haïti.»
Le comble dans tout cela.La fermeture de l’aéroport international Toussaint Louverture, le 29 février dernier, l’a poussée, avec une violence vers un fossé de tristesse, sans nom. Triste de voir le pays se dépérir, » dépafini », s’en aller même pas à la dérive, mais nullepart.
Comprenez que Gaëlle Bien-Aimé, au banc de l’école de théâtre, rêvait de voyager pour présenter ses spectacles à l’étranger, vendre Haïti et revenir dans son coin de terre « se reposer ». Ne pas pouvoir faire cela, la terrasse. Au moins trois fois, nous avons dû arrêter l’entrevue pour lui permettre de reprendre son souffle, ses esprits, ses capacités d’élocution.
Il n’est pas facile d’être témoin de cris de douleurs d’une comédienne de qui on attendait des éclats de rire, question de donner envie d’aller à son spectacle.
« Le pays a poussé énormément de personnes à quitter. Je suis seule à Port-au-Prince », me dit-elle à la reprise de ses moyens.
En effet, « Keskonfè ?»
« Les gens que j’aime, que je connais, quittent. Cette solitude me ronge», sanglote l’actrice sans jouer au théâtre pourtant. « Keskonfè? », sa série de sketchs , qui à l’origine, était une satire d’une certaine classe du pays qui vit dans le déni et qui continue cette violence de classe, ne répond toujours pas à sa question.
« Il n’y a aucune réponse à cela », me dit-elle tout bonnement lorsque je l’invite à décliner une réponse. Au départ, la comédienne voulait, et le fait encore, tourner en dérision une classe moyenne à travers une femme qui réfléchit à acheter une voiture. Mais, elle ne veut pas d’une « quatre roues motrices » luxueuse pour éviter de se faire enlever en pleine rue de Port-au-Prince.
«Le personnage a eu un succès, mais moi personnellement je n’y avais pas pensé », confie la créatrice de ce personnage aujourd’hui. Et de cette femme avec la peur au ventre de se faire enlever, elle est passée par des incidents, grave, les plus loufoques de la vie de tous les jours, pour faire rire au lieu d’en pleurer.
« Keskonfè » est devenu tout un spectacle que Gaëlle Bien-Aimé présente un peu partout. Avec subtilité, elle explore les contradictions sociales, incitant les spectateurs à réfléchir aux violences en Haïti. Avec humour et grâce, elle aborde le sexisme entre autres.
La comédienne qui ne peut retourner en Haïti pour l’instant sera en France par la suite toujours à demander à son public « Keskonfè » ?
Qui est-elle?
Gaëlle Bien-Aimé est une linguiste de formation. Elle a étudié le théâtre au Petit conservatoire avec Daniel Marcelin, en 2011, avant de créer son propre personnage.
Elle a tenté également de créer une relève en ouvrant une école de formation d’artistes, en 2018. « Une dinguerie », dit-elle aujourd’hui, car «la seule chose que j’ai eue de cela c’est la relève que j’ai créée».
Elle a roulé sa bosse dans le journalisme également à Le Nouvelliste. Aujourd’hui, elle collabore avec le média en ligne Ayibopost.
C’est aussi une militante du mouvement : Kot kob petro Caribe a.