Haïti ou le viol de la démocratie

Les rumeurs, les «infox» des réseaux sociaux, principalement dans le cas d’Haïti, c’est ce que S. Tchakhotime pourrait appeler, comme il a titré son livre paru en 1939, «Le viol des foules par la propagande…politique». À cette époque Goebbels utilisait la radio, qui venait de naitre, à des fins de propagande des nazis (Allemagne).
Aujourd’hui, Facebook et ses corolaires, qui se retrouvent entre les mains du journalisme citoyen, empoisonnent l’espace public. Les gens ne subissent plus la propagande orchestrée par l’État, mais plutôt l’inverse.
Ça va vite avec les réseaux sociaux, à la vitesse du son même pour tomber sous des yeux et dans des oreilles pas toujours critiques, sans recul et avec peu de jugeotes.
Il existe un principe en communication qui veut qu’une majorité de récepteurs retiennent et considèrent pour vrai, la première version d’une histoire lue ou entendue.
Les démentis possibles apportés « après-coup » risquent de ne trouver plus de place dans la tête des masses à la recherche d’évasion face à leur misère. Et ça, il y a un neurochirurgien, Ariel Henry, à la tête du pays, qui ne fait que cela : démentir. Mais à chaque fois, le mal communicationnel est déjà fait.
Sa dernière tentative de défaire une rumeur concerne 40 millions de gourdes qu’il aurait décaissé au profit du chef de gang Jimmy Chérisier (Barbecue) en guise de trêve en vue de la sortie de camion-citerne du Terminal Varreux pour juguler la crise de carburant.
Impossible de confirmer ou d’infirmer, car, il n’existe dans ce pays aucune loi d’accès à l’information qui permettrait à un journaliste de le faire.
Le premier ministre n’en est pas à son premier coup de « démenti formel » par ses propres canaux de communication. Et les médias de masse en sont tellement habitués qu’ils n’en font pas cas.
Car, les journalistes, les vrais à tout le moins, ne sont pas des caisses qui raisonnent les prises de position, les démentis et les déclarations. Ils ne sont encore moins des fonctionnaires publiques à la manière de la Corée-du-Nord. Ils ont des questions.
Dans son Enquête sur « Le journalisme au service du totalitarisme » ( octobre 2004), Vincent Brossel rapporte qu’à la faculté de journalisme de l’université King II-sung « les étudiants apprennent à respecter le plan permanent d’information » du régime.
Celui de Ariel Henry est de tweeter, de faire des adresses à la nation et ne jamais répondre à des questions.
La politique et la médecine
Or, Ariel Henry ne s’est jamais prêté à cet exercice démocratique. Il a, d’ailleurs, remarquablement brillé par son absence lors de la dernière conférence de presse du Conseil supérieure de la Police nationale (CSPN) dont il est le président, pourtant.
Depuis son arrivée aux pouvoirs (primature et présidence), à la faveur de l’assassinat de Jovenel Moise le 7 juillet dernier, son silence de cimetière face à des grèves, de paralysie d’activités, de rareté de carburant, bref, de la vie nationale, pèse le poids des tonnes de questions sur ses capacités sur le plan politique.
Ses adresses à la nation, aussi savamment préparée qu’elles soient, ne tiennent pas la route. Car, la primature n’est pas un cabinet médical.
La politique n’est pas la médecine non plus. Il s’agit bien d’une autre science, celle de la gestion de la cité. Et dans le cas d’Haïti, officiellement du moins, on est toujours en démocratie, ce qui implique un exercice plutôt simple pour les démocrates: se prêter à des débats sur le vivre-ensemble, s’exposer aux questions de la population par le biais des journalistes.
Lors de cette rencontre avec la presse, les journalistes ont été carrément muselés. D’entrée de jeu, le modérateur a annoncé que le chef de la police Frantz Elbé, les ministres de la Défense et de la Justice entre autres n’allaient accueillir que quatre questions.
Silence, on est en crise
Face à cette nébuleuse crise du carburant, c’est carrément l’omerta dans la classe politique également. À commencer par le Secteur démocratique et populaire dont le porte-parole André Michel s’était retranché à l’étranger sans mot dire.
Cette Force de nuisance spécialisée dans des opérations de « pays lock » sous Jovenel Moise, Ariel Henry a vite compris qu’il fallait la mettre sous ses aisselles politiques en signant un accord avec eux ( le 11 septembre dernier) et donc la museler.
Justement, sous Jovenel Moise, on aurait eu une meute de politiciens dans le fil de l’actualité des médias à vouloir dénoncer, critiquer, prendre position contre cette catastrophe humanitaire qui menace tout le monde dans le bateau haïtien.
Il y avait des chefs de partis toute tendance confondue pour porter le message de cette population. La plupart d’entre ses dirigeants politiques qui se disent démocrates ont pris la voie rapide vers le pouvoir avec Ariel Henry, autrement dit la voie de l’argent facile, de contrôle des prochaines élections, la voie de « hôte-toi que je m’y mette ».
Les forces vives de la nation, la société civile, comme on les appelle aujourd’hui, le secteur des affaires, les droits humains s’offusquaient, s’époumonaient tel un seul pour dire : halte-là ! Mais aujourd’hui, Nada. « Pesonn pa di estièm ».
Mais, il y avait aussi des anciens premiers ministres dans le bal de dénonciation, de frustration, de « Nou bouké».
En passant, ce pays a eu des présidents encore en vie et qui sont toujours en politique sous couvert de l’éducation, comme Jean Bertrand Aristide. Ou plus récemment Michel Martelly qui couve un retour aux élections pour un autre mandat. Vraiment..?
Au total, 16 Américains, dont un enfant de deux ans, et un Canadien enlevés depuis près d’un mois. Et, là encore, le gouvernement affiche une indifférence communicationnelle grave.
Pourtant, il existe, au sein de cette version gouvernementale, montée à la va-vite après l’assassinat de Jovenel Moise, un ministre de la communication, Emmanuel Jacquet pour ne pas le nommer et qui ne communique pas.
Il y a aussi, à la primature, un bureau de communication dont le travail unique vraisemblablement est de pianoter des tweets et des WhatsApp sur les déclarations toutes faites de Ariel Henry. Ou encore de réagir après-coup sur les réseaux sociaux avec des note de démenti formel. C’est tout.
Ils ne répondent pas au téléphone, encore moins aux messages des journalistes haïtiens en tout cas.
Les journalistes haïtiens n’ont appris que via New York times que les ravisseurs réclament 1 millions de dollars par tête de personnes enlevée dans une rare entrevue avec Litz Quitel, ministre de l’Intérieur qui cumule le poste de ministre de la Justice. Ils ne parlent qu’aux journalistes étrangers, comme Martine Moise d’ailleurs, la veuve du président assassiné.
Un pouvoir mou (PM) face aux gangs
À la suite du rapt collectif de samedi, les réseaux sociaux s’enflammaient. Au lieu de prendre la direction de la communication sur la question, Ariel Henry, malgré les avertissements policiers pour sa sécurité, décidait de partir à l’aventure Pont-Rouge le 17 octobre dernier afin de déposer une gerbe de fleurs à la mémoire du fondateur de la patrie, Jean-Jacques Dessalines. Et Jimmy Cherisier l’a carrément grillé au Barbecue avec des rafales d’armes automatiques.
Le lendemain 18 octobre, une grève générale frappe le pays. Lancée par des syndicats de chauffeurs du secteur public, elle est largement suivie par la population en général qui en a ras-le-bol du climat d’insécurité.
Une deuxième journée lancée dans la controverse est plutôt respectée également. Et,… silence radio encore une fois du côté du gouvernement. Personne, encore moins le premier ministre qui a failli laissé sa peau au bas de Delmas n’a pipé mot.
Pour des milliers de citoyens qui ont envoyé, en toute démocratie, ce message fort, c’est très méprisant le silence des autorités, s’il y en a.
Car, personne ne s’imagine que depuis plus de trois mois qu’un gouvernement qui jouit des privilèges grâce à l’argent et les ressources d’un peuple, ne puisse lui dire ce qu’il fait et surtout, ce qu’il ne fait pas. Sinon pourquoi avoir des autorités dans cette anarchie?
Car, l’anarchie en Science Po, c’est l’ordre sans l’autorité.