Haïti: communication au temps du corona
Un journaliste qui indexe une personne atteinte dans un contexte social où, par ignorance, la population croit que tuer les malades du COVID-19 est le meilleur remède, un premier ministre qui traite de narcissique les citoyens qui se placent en quarantaine, voilà ce qui aurait anéanti plus de gens qu’une éclosion de cette épidémie.
Les médias ont tous pour mission d’informer, certes. Mais dans tous les pays censés, la distance entre la vie privée des sujets et l’espace public demeure un fossé. Sauf lorsqu’il s’agit surtout de personnalité publique où les journalistes et les entreprises médiatiques s’interrogent de prime abord sur l’intérêt pour le public.
Mais de manière générale, l’état de santé des citoyens (personnalité publique ou pas) reste du domaine privé. Il s’agit là d’un minimum en matière de nétiquette et des normes et pratiques journalistiques qui guident les médias occidentaux.
La ligne du privé
«Nous divulguons des informations de nature privée uniquement lorsque le sujet est d’intérêt public.», précise par exemple Radio-Canada
« Sans pour autant limiter le sens à donner à l’intérêt public, nous travaillons dans l’intérêt public lorsque nous révélons de l’information qui aide notre auditoire à prendre des décisions au sujet de questions faisant l’objet de débats publics. »- Nétiquette et Vie privée à R-C
Or, l’infection de l’artiste Roody Roodboy au COVID-19 est de nature privée et ne faisait pas l’objet de discussion sur la place publique. Rendre public cette donnée aurait pu mettre sa vie plus en danger que le coronavirus lui-même et ne vise qu’un objectif de quotte d’écoute.
«Le système médiatique fait de l’émotion une vérité absolue, l’alpha et l’oméga de toute discussion publique. Hors de l’émotion, point de salut» fait remarquer Eric Aeschimann dans «Le moralisme médiatique»
« Buzz » ou action civique?
Sophie Grégoire, la femme du premier ministre du Canada, Justin Trudeau, atteinte du COVID-19, l’a elle-même annoncé dans un communiqué conjoint avec le bureau du PM. Vous vous doutez bien que certains médias et journalistes étaient au fait de cet fait, mais n’osaient en parler. C’est la loi, ici.
Justin Trudeau lui-même s’était mis en quarantaine volontaire à ce moment-là et l’avait annoncé personnellement. Il est à date asymptomatique, ce qui ne signifie pas qu’il ne peut pas représenter un vecteur de transmission de la maladie, notez bien.
Voulait-il, pour autant «faire le buzz» comme l’affirme le premier ministre haïtien à propos de Bellamy Nelson?
Cet enseignant à l’université de Limonade (dans le Nord d’Haïti) s’était placé en quatorzaine volontaire, en alertant du même souffle les autorités.
La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans la région provoquant une ire de la population locale qui voulait le lyncher. M. Nelson a dû prendre ses jambes à son coup à bord de plusieurs motocyclettes jusqu’à Port-au-Prince, la capitale.
Dans sa mésaventure au temps du COVID-19, Bellamy Nelson n’a eu d’assistance de la part d’aucun pallier de l’État, ce qu’il a dénoncé d’ailleurs. Même la police haïtienne ne pouvait et ne lui apportait assistance face au danger qu’il courait. C’est pourtant la mission de la PNH.
Au contraire, la ministre haïtienne de la Santé a tenté, selon M. Nelson, de l’utiliser pour mousser les fausses annonces de l’État en matière de dispositions pour contrer la pandémie.
Nelson face à l’État
« J’ai été indigné et révolté quand, le jeudi 19 mars à 10 h 08 du matin, la ministre de la Santé publique m’a appelé pour m’annoncer que mon test était négatif et profitant pour me demander de venir débiter devant les médias des mensonges au peuple haïtien.
« A plusieurs reprises, elle a insisté pour me demander de dire que ma prise en charge a été assurée alors que ça n’était pas le cas et que je lui ai expliqué toutes mes péripéties. A chaque fois, j’ai répondu : Madame la Ministre, je dirai la VÉRITÉ !», écrit-il dans une lettre publique.
M. Nelson qui affirme avoir failli laisser sa peau dans cette histoire faisait le tour des médias pour dénoncer les maques, les absences, les faussetés, les propagandes du gouvernement autour de la crise.
Ce qui tique le premier ministre haïtien. Ingénieur de profession, Joseph Jouthe se présente en bon docteur ou mieux comme un laboratoire national.
« Moi aussi j’ai mené mes investigations. J’ai appris que le concerné est un artiste. Il voulait entrer dans l’histoire, ce, avant les prélèvements…Le plus dur, c’est que j’avais donné cette information avant même que l’on effectue les prélèvements qui ont été réalisés en un temps record »- Joseph Jouthe
Comment l’ingénieur pouvait-il savoir hors de tout doute qu’une personne présentant des symptômes s’apparentant au corona n’était pas infectée? Les médecins ne posent jamais de diagnostic sans des examens en laboratoire. Jamais.
Sauf en Haïti peut-être où les prêtres, les musiciens ou les planteurs de bananes sont présidents. Des ingénieurs sont peut-être au chevet des malades aussi dans ce pays.
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One Comment on “Haïti: communication au temps du corona”
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merci