La fragile santé mentale des Noirs et immigrants
«J’avais un étau dans la tête. Quand on me parlait, pour moi c’était juste des mots qui n’avaient aucun lien entre eux.», se souvient Nersa Dorsimond, entrepreneure, auteure, cheffe d’entreprise, partenaire dans plusieurs entités et mère de deux garçons de surcroît.
« Pour vous dire, j’étais un petit peu occupée », lance-t-elle de façon amusée à un parterre de travailleurs autonomes, de professionnels de la santé, tous des communautés culturelles, dans le cadre de la deuxième édition du forum «Parlons de la santé mentale», chez les Noirs.
Mme Dorismond est secouée par le suicide, en mai dernier, d’une de ses meilleures amies qui était plutôt aussi « occupée » qu’elle et qui n’a pas su gérer ou comprendre ce qui lui arrivait dans une société de compétition ou « tout va vite ».
Tout comme elle, son amie, qui y a laissé sa vie, était en affaires. D’où l’idée d’inviter les communautés noires et culturelles à en discuter.
Les deux séances d’échanges ont permis de constater que la santé mentale des Noirs ou des immigrants en général en prend pour leur rhume, ici.
« Je commençais à avoir des maux de tête incapacitants, je n’arrivais plus à me lever le matin », se rappelle Louis-Edgard Jean-François, le PDG du Groupe 3737, un incubateur d’entreprises dans Saint-Michel.
On est en avril 2010. Ce comptable de profession venait de quitter son emploi pour partir en affaires et dirigeait sa propre entreprise avec une dizaine d’employés au moins. Il décide alors d’aller voir un médecin qui lui prescrit des pilules, mais à effet lent.
Six mois plus tard, nada. Il ne se passe rien, son cas tend à empirer même. M. Jean-François va consulter un professionnel de la santé mentale, ce qui lui a permis de se retrouver et de reprendre ses activités.
« Je pédalais comme avant, dit-il, mon corps était fatigué, mais je ne l’ai pas écouté », ce qui l’a amené à rechuter. «La morale de l’histoire est qu’il faut prendre du temps pour soi.», conclut-il.
« Quand je décide que je suis fatiguée, tu peux m’appeler pour un contrat d’un million de dollars, tu ne vas pas me retrouver », lance pour sa part Caroline Télémaque, une femme d’affaires qui dirige Incubateur de rêves dans le quartier Ahuntsic, à Montréal. Elle, aussi, est passée par des épisodes difficiles au niveau de sa santé mentale.
« Cela ne veut pas dire que la personne est folle », insiste Lynda Saint-Gérard, travailleuse sociale depuis 12 ans au CLSC, et qui invite les gens à faire un distinguo entre santé mentale et maladie mentale. Elle dit déceler un tabou et un amalgame chez la communauté haïtienne vis-à-vis de cette question.
La santé mentale est un état de bien-être dans lequel un individu peut réaliser son propre potentiel et faire face aux situations normales de la vie et au stress qu’elles génèrent.
Si elle est mal gérée, cela peut conduire alors à des maladies mentales comme la dépression, la schizophrénie entre autres.
« Les gens ont peur d’explorer un peu ce qui se passe » constate de son côté Karene Aristide, consultante certifiée en comportement humain (Niveau I et II).
« Il y a plusieurs années, ça a été vaudouisé, ils pensaient qu’il s’agissait de mauvais esprit. Dans leur tête un psy, ce n’est pas un médecin. Ils sont moins vite à chercher de l’aide.»-K. Aristide
C’est aussi l’avis du psychothérapeute David Archer qui travaille en santé mentale depuis 2011. « Les gens qui viennent des Caraïbes ne croient pas à son importance» observe le Montréalais d’origine jamaïcaine. Il est diplômé en tant que travailleur social-psychothérapeute et thérapeute pour couples et familles.
Il travaille présentement à l’Hôpital de Montréal pour enfants, à temps partiel, dans la Clinique de médecine pour adolescents, où il se spécialise dans les troubles alimentaires.
En pratique privée, Il sert des populations marginalisées qui s’identifient comme des minorités raciales, sexuelles ou culturelles. Ses domaines de spécialités en psychothérapie sont: la régulation émotionnelle, la méditation de pleine conscience, et la psychothérapie en EMDR pour résoudre les traumas.
Pour lui, l’action d’immigrer constitue déjà un traumatisme pour quiconque. À cela s’ajoute les difficultés d’intégration comme le racisme, la discrimination, les clichés, ce qu’il appelle, en fait, une « intersection » dans les troubles de santé mentale.
La problématique de la peur de la police n’est pas quelque chose qu’il rencontre, dit-il, chez ses clients blancs.
« Mais quand je parle à des Noirs, ils ajoutent cela à la dépression, à l’anxiété. Il s’agit d’une accentuation du trouble mental.» Il dit constater une hausse de la clientèle noire aux prises avec leur santé psychique.
Karole Gauvon, résidente en psychiatrie, abonde dans le même que le Dr Archer: certains traumatismes sont étroitement liés à l’immigration.
Elle va jusqu’à ligaturer la santé mentale à une société donnée ou une culture en particulier. Lors d’une intervention au forum tenu le 10 septembre dernier, la psychiatre en résidence invite les participants à lire « Crazy like us » (Aussi fou que nous), un livre qui démontre comment la maladie mentale évolue en raison de l’influence occidentale ou du modèle sociétal.
« On sait que quand on a un patient qui a immigré récemment, ils ont plus de vulnérabilité, ils sont plus à risque de ne pas aller bien »-Karole Gauvon
« Être une minorité, et dans une société où on est vue comme étant différent, c’est le cas des LGBT+, ça augmente les chances de développer une dépression, une schizophrénie etc… »
Elles ont dit
« C’est comme dans l’avion, on vous conseille de mettre le masque d’abord pour soi avant. Car si on meurt one ne pourra pas aider les autres » Karene Aristide sur la nécessité de prendre soin de soi-même.
« Je commençais à avoir de la résistance dans ma famille. Devant la porte de ma chambre, j’ai dû mettre une pancarte : Ne pas déranger »- Caroline Télémaque sur la nécessité de prendre du temps pour soi.
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One Comment on “La fragile santé mentale des Noirs et immigrants”
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