La science: pas juste des «hommes, Blancs et vieux»

Après avoir développé au niveau secondaire de l’intérêt pour un domaine quelconque de la science, très tôt, au CEGEP, les jeunes filles issues des communautés noires déchantent assez vite devant les barrières qui sont dressées devant elles. Hésitation, peur, isolement et même abandon, autant d’idées négatives qui les poussent vers la sortie.
Une vingtaine d’entre elles ont exprimé leurs inquiétudes et leurs préoccupations quant à une possible carrière en science, lors d’une conférence virtuelle organisée le samedi 13 février 2021 par l’organisme communautaire Lakay média, dans le cadre de la célébration du Mois de l’histoire des Noirs.
A la question de la conférencière invitée Nathalie Sanon, Dre en neuroscience, « Quand on pense science, qu’est-ce qui vous vient automatiquement à l’esprit? Les filles ont répondu tour à tour: « Des hommes », des « Blancs », des « vieux ».
IL s’agit de la première conférence de toute une série baptisée « Leadership noir au féminin », qui vise à présenter aux jeunes filles des communautés noires des modèles de professionnels capables de les inspirer dans leurs choix de carrière.
Nathalie Sanon, était invitée à partager ses expériences de scientifique et son parcours avec les participantes. Elle a, d’entrée de jeu, fait tomber certains mythes traditionnels entourant la science, dans le but de rassurer celles-ci et de dissiper les ondes négatives autour d’elles.
Changer le « look » de la science
« Pendant longtemps, le “look” de la science a été un homme vieux », souligne la chercheuse. Elle fait référence à Albert Einstein, considéré comme étant le plus grand physicien de l’Histoire et le père de la relativité.
Selon certaines études, beaucoup de jeunes pensent que la science n’est pas faite pour eux, déplore la scientifique d’origine haïtienne. Elle croit qu’il importe de changer ce « look » traditionnel et rappelle que généralement « on n’associe pas la science aux femmes, aux jeunes et encore moins aux Noirs. »
« La science, ce n’est pas juste des hommes. A l’Université de Montréal comme dans d’autres centres universitaires, il y a beaucoup de femmes qui font leur baccalauréat, leur maitrise et leur doctorat. Il y en a qui sont en recherche. Parmi elles, on compte également des jeunes », se réjouit-elle.
Pour ce qui est de la couleur de la peau , la docteure Sanon indique qu’elles étaient quatre filles noires dans ce domaine à l’Université de Montréal.
« Nous étions toutes fières. Les 3 autres poursuivent des recherches dans cette discipline et moi, j’ai bifurqué vers l’intelligence artificielle que j’admire tant, tout en continuant à enseigner.», se souvient-elle.
Nathalie Sanon invite les filles de sa communauté à se retrousser les manches, à foncer afin de récupérer la place qui leur revient.
« Prenez votre place. Faites-le de manière toujours respectueuse. Il y en a pour des femmes, des leaders comme vous. Il faut vous donner la chance d’y arriver. Si vous ne vous donnez pas cette chance, vous ne saurez jamais à quel point vous êtes efficaces. Il faut oser. N’ayez pas peur »- Dre Sanon.
Celle qui a grandi à Côte-des-Neiges, se souvient de son entrée au CEGEP en Sciences pures. Certains la regardaient avec des yeux de poisson frit et lui faisait même comprendre qu’elle n’avait pas sa place ici.

« Comment es-tu rendue là? »,
lui demandait tout le monde avec étonnement, voulant insinuer que la science n’est pas faite pour des filles noires.
A la croisée des chemins
Tatiana Auguste, jeune fille de 19 ans, d’origine haïtienne, suit actuellement des cours en économie à l’université.
Mais au CEGEP où elle étudiait les sciences de la nature, elle a eu toutes sortes de difficultés liées à sa couleur, son sexe et même sa famille.

Elle panique tant qu’elle songe à remettre en question ce choix de carrière. « Je suis en questionnement pour savoir si cela vaut la peine d’avancer », concède-t-elle, jugeant toutefois utiles et salutaires les échanges qu’elle a eus avec Nathalie Sanon.
« J’aurais dû rencontrer madame Sanon plus tôt dans ma vie »-Tatiana Auguste
La société normalise l’anormal
Quant à elle, Moonika Aurhely Jean-Louis, 17 ans, d’origine haïtienne, étudie actuellement au CEGEP en sciences de la nature, volet santé. Elle veut devenir urgentiste. Cependant, les barrières qui se dressent déjà devant elles sont énormes.

« Quand on présente à la télévision les professionnels du domaine dans lequel j’étudie actuellement, je ne vois jamais une personne noire. Parfois, j’ai l’impression que je ne suis pas à ma place. Peut-être que je devrais faire autre chose, choisir une discipline dans laquelle je serais plus apte à réussir », s’inquiète-t-elle.
« La société rend normale cette situation anormale. Elle ne fait rien pour briser les barrières. Quand vous parlez de cela, on vous dit que vous exagérez, que vous ne devriez pas vous sentir dans un tel état d’esprit. Malheureusement, cela porte beaucoup de jeunes noirs à décrocher », se désole Moonika qui n’entend pourtant pas jeter l’éponge.
Elle veut continuer ses études, tout en sachant qu’elle n’arrivera pas à faire disparaître ses inquiétudes du jour au lendemain.
Parcours d’une neuroscientiste
Nathalie Sanon a œuvré dans le domaine de la recherche en neurosciences et est conférencière invitée au département de neurosciences de l’Université de Montréal. Ayant travaillé près de 10 ans au centre de recherche du CHU Ste-Justine, elle s’intéresse également à l’entrepreneuriat scientifique.
Directrice de programmation au Salon international de la Femme noire, qui met de l’avant et fait connaître les femmes noires, elle s’affaire particulièrement à faire connaître les femmes œuvrant dans les STIM (Sciences Technologies Ingénierie et Mathématiques).
Lucmane Vieux