Le Canada invité à intervenir en Haïti avec sa diaspora
La Concertation haïtienne pour les migrants (CHPM) appelle Ottawa à un «changement de paradigme» dans ses programmes d’aide au développement en Haïti, et surtout, à miser sur les ressources de sa diaspora établie depuis plus de 50 ans ici. Un document, intitulé «Les pistes d’actions du Canada», a été présenté à l’ambassadeur du Canada en Haïti, André François Giroux, qui était de passage à Montréal la semaine dernière.
Le manifeste, basé sur des données même du gouvernement canadien, démontre qu’au cours des dernières années, pas moins de 215 projets à travers 79 agences des Nations unies pour un total de 1.2 milliard ont été réalisés en Haïti «sans résultats probants».
«On n’a trouvé dans ces projets-là aucune organisation qui nous ressemble, nous de la diaspora », a pesté le président du Sommet Afro, Édouard Staco en présentant les données à l’ambassadeur Giroux. Il dit toutefois avoir pourtant recensé des OBNLs multinationales, des collèges et Universités, des villes canadiennes, des entreprises privées canadiennes («non dirigées par les Haïtiens en passant »), une entreprise privée belge, une OBNL italienne qui a reçu près de deux millions pour intervenir dans une prison pour femmes mineures en Haïti, entre autres.
« Nous avons trouvé une seule entreprise privée haïtienne, mais zéro organisme de la diaspora », mentionne M. Staco.
Or, l’aide canadienne qui passe, à plus de 85% des cas, par des organisations internationales de 2010 à 2024 est chiffrée à 1,24 milliard de dollars.
Un milliard transféré
Parallèlement, la contribution financière de la diaspora haïtienne du Canada est de 1 milliard de dollars sur 5 ans selon les données de la Banque de la République d’Haïti (BRH) consultées par la CHPM. L’an dernier, ce sont près de 230 000 dollars que les Haïtiens du Canada ont transférés en Haïti, soit une hausse de plus de 9% par rapport à 2022.
La Concertation recommande au gouvernement du Canada de développer dans les meilleurs délais, conjointement avec les représentants.e.s de la diaspora, une nouvelle approche à travers les actions du Canada en matière de développement en Haïti. Elle espère qu’Ottawa fasse d’Haïti un des dix (10) plus importants bénéficiaires en matière d’aide au développement.
«On demande un changement de paradigme. La situation qu’on vit est la résultante des interventions qui ont conduit à la défaillance de l’État. Nous demandons au gouvernement du Canada de changer sa façon de faire », lance la directrice générale du Centre Na Rivé, Ninette Piou, en conférence de presse. «Il doit travailler avec nous, insiste-t-elle, Haïti doit être accompagnée par ses propres enfants. »
Cette grande corvée touche à la mise à niveau des écoles et des centres de santé, de même que le développement de l’économie, d’une démocratie haïtienne et d’une bonne gouvernance en misant sur les compétences diversifiées de sa diaspora, notamment en éducation, en santé, en ingénierie, en technologie, en politique, en administration publique, en affaires, en finance, en droit et en travail social pour réussir cette tâche.
Une approche qui surprend le gouvernement
«S’il y a des capacités, des possibilités au sein de la diaspora, il est important de s’assurer comment vous intégrer dans la chaîne», réagit le représentant d’Ottawa à Port-au-Prince. Toutefois, M. Giroux rappelle à l’intention de la Concertation que « l’aide au développement est très complexe ».
« Le Canada ne fait pas toujours ce qu’il veut parce qu’il y a tous ces pays donateurs impliqués. Il y a toute sorte de règles. Mais, on est dans une phase de transformation, de voir à faire les choses différemment chez Affaires mondiales Canada», dit-il.
Cette nouvelle « Approche de Montréal » a été présentée à la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly en ses bureaux « et c’était une peu la grande surprise », rapporte la directrice de la Maison d’Haïti, Marjorie Villefranche, un des trois porte-parole de la CHPM.
« On a eu l’impression qu’ils se sont demandé : mais qu’est-ce que c’est que ça? Et ils ont dit qu’il faudrait changer les lois, les règles, etc., justement on leur a dit qu’on voulait un changement », renchérit Mme Villefranche.
À la fin de la rencontre, le bureau de Mme Joly a référé le Groupe au cabinet du ministre Ahmed Hussen du Développement international Canada. Marjorie Villefranche ajoute qu’elle avait observé une certaine déception de la part du ministère des Affaires étrangères de constater que le Canada, par le passé, n’a jamais fait appel à la diaspora dans son approche en Haïti.
Fiscaliser les transferts
La CHPM propose la création d’un Fonds de la diaspora d’investissement pour Haïti afin d’adresser les problèmes de santé, d’éducation, des services de base, entre autres. Les projets devaient venir des communautés locales des régions du pays afin d’aider à la décentralisation.
L’approche de Montréal propose que les gouvernements fiscalisent les dons faits par la diaspora à leur communauté locale en Haïti. Ces fonds viennent des revenus nets des citoyens et résidents permanents du Canada et ne bénéficient d’aucun incitatif fiscal.
« Comme prémices, regardons l’aide de la diaspora qui pourrait être éligible au crédit d’impôt, on pourrait faire plus de 40 millions d’économies par année aux fins d’aide humanitaire et qui pourrait servir à cette fin», fait remarquer Édouard Staco.
Sur 5 ans, 200 millions d’économies qui auraient été faites par cette approche «non d’aide internationale, mais d’investissement», ajoute-t-il.
« En appliquant la règle de 20% en crédit d’impôt offert pour les dons de charité, on estime que les deux paliers de gouvernement ont économisé $ 45 859 441 pour 2023 », estime la CHPM.
Notons que les données consultées par la Concertation dans le cadre de ces analyses proviennent soit de la Banque du Canada ou d’Affaires mondiales Canada. Des chiffres qui sont colligés dans leurs rapports annuels. « Haïti ne fait même partie des 10 pays les plus aidés par le Canada dans le monde actuellement ». « Pourtant le Pakistan en fait partie. »- Édouard Staco
« On fait tout cela sans compter qu’on n’est pas en 1950. Il y a une forte diaspora et il y a une nécessité que la diaspora fasse partie de la solution. »- Édouard Staco