Le Juif qui s’oppose au profilage des «racicés»
Sur la base d’une vingtaine de considérations, Marvin Rotrand, le doyen des élus municipaux de la Ville de Montréal présente une motion au Conseil pour demander «la collecte de données relatives à la race lors des interpellations de piétons et d’automobilistes » par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)
La requête, qui doit être débattue ce lundi ou demain mardi, trouve l’appui de la conseillère indépendante Renée-Chantal Belinga, la mairesse de Saint-Michel Juliana Fumagali (une transfuge de Projet Montréal) et de 27 groupes dont Mtl en action ou encore le Centre de recherche action sur les relations raciales (CRARR).
« Ensemble Montréal pourrait appuyer la motion également », souligne M. Rotrand, conseiller municipal dans Côte-des-Neiges depuis 37 ans.
Texte de la Motion
Que le Conseil municipal mandate le SPVM afin que celui-ci recueille des données relatives à la race chaque fois que les policiers interpellent quelqu’un pour effectuer un contrôle de routine ou relativement à une infraction au Code de la route, et ce, dans le but d’obtenir des données vérifiables qui permettront de déterminer si les interpellations relatives aux contrôles de routine ou aux infractions au Code de la route font l’objet de préjugés. Cette politique s’appliquerait aussi aux accusations et aux arrestations, ainsi qu’aux situations lors desquelles les policiers font usage d’armes à feu ou d’armes intermédiaires;
Que le Conseil municipal donne au Comité exécutif le mandat de créer un comité consultatif contre le racisme composé de policiers, d’experts et de membres de la collectivité afin d’élaborer, pour le Service de police, une nouvelle politique sur la collecte de renseignements relatifs à la race
Parmi la vingtaine d’arguments, Marvin Rotrand retient surtout le fait qu’en Ontario, un examen effectué, en 2016, par l’honorable juge Michael H. Tulloch a révélé qu’alors que le Service de police de Toronto effectuait le plus grand nombre de contrôles de routine de toute la province, les données fournies par tous les services de police, y compris ceux d’Hamilton, de Kingston, de London, d’Ottawa, de Peel, de Waterloo, de York, de la PPO et de Toronto ont permis de constater qu’un nombre disproportionné de ces contrôles de routine visaient un ou plusieurs groupes racisés.
« Moins d’efforts » au SPVM
L’exercice est pourtant simple: Il s’agirait uniquement de cocher des cases. Mais pourquoi le SPVM hésite encore à collecter ces données en 2020?
« C’est une excellente question, nous répond le doyen des conseillers municipaux, et je n’ai pas une réponse facile à vous donner.», répond dans un premier temps le conseiller à l’origine de la Motion à débattre.
Mais dans son analyse de la situation, Marvin Rotrand reconnait que malgré les efforts réalisés « il n’y a pas de relations complètement harmonieuses avec les minorités visibles ». De plus, selon lui, «cela dépend de qui est chef de police. »
Il note par exemple le passage de Marc Parent à la tête du SPVM où il y avait «un vrai effort de consultation » des communautés.
« Avec Sylvain Caron actuellement, je ne dis pas que les relations sont hostiles. Mais, je ressens moins d’efforts d’engager le dialogue et de trouver des façons de travailler ensemble »-
Marvin Rotrand.
À l’aube de ses 70 ans, le conseiller municipal, ne perd rien de son bagou dans a défense des droits des minorités. D’origine juive, il rappelle que ses parents sont des survivants de l’Holocauste et que sa communauté a connu aussi de la discrimination.
« Pour moi c’est inacceptable qu’un citoyen de Montréal ait peur de marcher dans la rue avec l’idée qu’il se fasse arrêter rien que parce sa peau est noire,», affirme M. Rotrand.
Faits saillants au Canada
-La Charte montréalaise des droits et responsabilités, tous les résidents et tous les visiteurs de la ville de Montréal jouissent des droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (1975) et par la Charte canadienne des droits et libertés (1982), et que le conseil municipal est responsable de veiller à ce que les résidents et visiteurs en question soient traités de façon équitable et reçoivent des services municipaux de haute qualité;
-La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) recommande que les institutions publiques collectent systématiquement des données ethno raciales afin de mieux identifier les biais discriminatoires, d’aider les gestionnaires à adopter des mesures pour lutter contre ces biais et de permettre une reddition de comptes périodique;
-Royaume-Uni s’est doté de solides normes nationales en ce qui concerne la collecte de données, la prévention de leur utilisation abusive, leur interprétation et leur divulgation au public. Le Royaume-Uni produit et publie des statistiques officielles qui mettent en relief les liens existant entre la race , certaines autres données démographiques et l’emploi, l’éducation, la santé et la justice pénale;
-Aux États-Unis, presque tous les corps policiers recueillent des données relatives à la race et à l’origine ethnique et qu’en 2005, quelque 4 000 organismes ont recueilli des renseignements relatifs à la race et à l’origine ethnique par l’intermédiaire des contrôles routiers;
– Le SPVM a admis avoir « besoin d’effectuer des recherches et d’obtenir plus d’information pour déterminer ce qui se cache derrière ces chiffres »;
-De juin 2015 à juin 2018, le Service de police d’Ottawa a mené un second projet de collecte de données relatives à la race lors des contrôles routiers. Le rapport publié en novembre 2019 révèle que les conducteurs d’origine arabe et les conducteurs à la peau noire sont toujours surreprésentés et qu’ils subissent un nombre disproportionné de contrôles routiers;
Attendu que la Politique sur l’élimination du profilage racial en contexte de maintien de l’ordre publiée en novembre 2019 par la Commission ontarienne des droits de la personne exige que les services de police établissent des systèmes permanents de collecte et de conservation des données afin de consigner des données relatives aux droits de la personne dans le cadre de toutes les interpellations et fouilles de civils, de tous les incidents impliquant le recours à la force et de toutes les accusations et arrestations;
-Le Toronto Police Services Board a récemment adopté une politique qui forcera les agents de police de cette ville à prendre note de la « race » de toutes les personnes interceptées lors de contrôles de routine ainsi que de toutes les personnes arrêtées, inculpées ou impliquées dans des interactions lors desquelles les policiers ont utilisé la force;