L’Haïtienne qui pilote la lutte à la discrimination au Québec
Reconnue au Canada et à l’étranger pour son expertise et ses études sur la discrimination systémique et le racisme, la sociologue Myrlande Pierre, «début de la cinquantaine», obtient le mandat de lutter contre ces problématiques comme vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).
La responsable du mandat Charte au sein de la CDPDJ vient de se faire briefer, le 29 juillet dernier, au sujet «des dossiers en cours et à venir» en prenant ses fonctions dans un accueil chaleureux, dit-elle à In Texto.
Parmi les questions qui provoquent préoccupations et réflexions à la Commission, on peut citer les échos, de plus en plus retentissants, de l’extrême-droite qui «s’exprime sur la place publique» davantage à travers le monde mais aussi au Canada.
«On est conscient de cette montée. La Commission avait amorcé une réflexion à l’interne là-dessus », révèle Mme Pierre. Le résultat de ces observations sera publié bientôt dans le cadre d’une enquête menée actuellement par les commissaires aux droits de la personne.
« Oui, il y a une augmentation des cas d’actes haineux au Québec. Et il y a lieu de prendre cela au sérieux », lâche enfin la vice-présidente à une question du journal qui insistait pour avoir une idée de l’état de la situation peu avant la publication de ce rapport.
Myrlande Pierre
Arrivée d’Haïti au Canada à l’âge de 7 ans, Myrlande Pierre est aujourd’hui titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’UQAM et candidate au doctorat en sociologie à l’Université de Genève. Juste avant de débarquer à la CDPDJ, elle était présidente de la Table sur la diversité, l’inclusion et la lutte contre les discriminations de la Ville de Montréal.
Elle a réalisé des études et plusieurs travaux (avis et mémoire) pour le Conseil des relations interculturelles du gouvernement du Québec sur les problématiques de la représentation politique des minorités ethnoculturelles ainsi que sur les communautés noires au Québec.
Myrlande Pierre a travaillé à l’élaboration, l’analyse et à la mise en œuvre de politiques publiques et de programmes gouvernementaux au sein de plusieurs ministères au niveau fédéral.
En 2000, elle a notamment effectué un Mémoire sur l’incorporation socioéconomique des jeunes diplômés issus de la 2e génération d’immigration haïtienne et a dirigé un numéro de la Revue Nouvelles pratiques sociales de l’UQAM : Racisme et discrimination : perspectives et enjeux, publié en 2005.
« Racisme anti-noir »
Au-delà de ses fonctions de vice-présidente de la CDPDJ, Myrlande Pierre publie des articles scientifiques dans « Policy options », (Options politiques), un forum au service du bien public. Lisez : « Les Noirs au Canada : éradiquer le racisme structurel »
Et l’appel récent des Nations unies à une Décennie (2015-2024) internationale des personnes d’ascendance africaine interpelle la sociologue.
Le coup de projecteur lancé par l’ONU l’incite à pousser ses réflexions et ses analyses plus loin. Mme Pierre se penche actuellement sur une étude au sujet du «Racisme anti-noir». « Ça n’exclut pas les autres formes de racisme », précise-t-elle d’entrée de jeu.
Mais, souligne la sociologue, à travers le monde, le constat fait par l’ONU est flagrant:
«il y a une persistance des disparités et des inégalités sociales qui visent les différentes communautés noires incluant le Québec et le Canada.»
Une mission de l’ONU qui a séjourné au Canada en 2017 en a fait le constat de part elle-même. En 20 ans, la taille des communautés noires au Canada a doublé, passant de 573 860 membres en 1996 à 1 198 540 en 2016, ce qui représente plus de 3,5% de la population totale.
Réduire les délais
Forte de ses recherches et études, la sociologue d’origine haïtienne participe actuellement à un vaste projet de « modernisation de la Commission des droits de la personne » au Québec.
Sous l’impulsion du président Philippe-André Tessier, la CDPDJ est en train de revoir certaines pratiques notamment en ce qui a trait au délai de traitement des plaintes.
« On vise 15 mois pour les cas relativement simple afin de nous rapprocher des délais qui répondent à ce besoin social »-Myrlande Pierre. Les délais de traitement des griefs pouvaient aller jusqu’à 3 ans et même plus auparavant.
La Commission entend également favoriser le recours à la médiation et établir plus de lien avec la société civile dans le cadre de ces réformes
La Commission
Elle a été constituée en 1976 par la Charte des droits et libertés de la personne. Son nom et sa mission actuelle proviennent de la fusion, en 1995, de la Commission des droits de la personne et de la Commission de protection des droits de la jeunesse.
C’est un organisme indépendant du gouvernement et qui remplit sa mission au seul bénéfice des citoyens et dans l’intérêt du public.
La CDPDJ assure la promotion et le respect des droits énoncés dans :
- la Charte des droits et libertés de la personne
- la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ)
- la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA)
- Elle doit aussi veiller à l’application de :
- la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics
La Commission comprend un président, deux vice-présidentes et neuf membres, pour un total de 12 personnes.
Outre Myrlande Pierre, une autre Haïtienne, Marjorie Villefranche, y siège comme membre.
Madame Villefranche est directrice générale de la Maison d’Haïti. Elle se consacre depuis plus de 30 ans à l’éducation et à la participation citoyenne des populations immigrantes.
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One Comment on “L’Haïtienne qui pilote la lutte à la discrimination au Québec”
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Myrlande Pierre est en terrain connu à la fois en tant que praticienne et militante des droits humains, mais aussi en tant que sociologue, universitaire qui réfléchit sur les relations de pouvoir de groupes majoritaires et minoritaires et les processus de production des inégalités.
A plusieurs occasions, j’ai eu dans le cadre de colloques et rencontres internationales ( Europe, Afrique, Asie…) à co-produire des réflexions et recherche en lien avec les phénomènes migratoires et les pratiques discriminatoires qu’ils charrient.
Je me réjouis de devoir constater que nos chemins se recroisent, j’allais dire s’emboitent sur le phénomène le plus inquiétant et complexe de nos temps présents, à savoir le racisme, la discrimination et le développement du discours de la haine.
Son nouveau mandat de lutte contre les discriminations et Vice- Présidente de la Commission des droits de la personne, coïncide avec le mien au titre d’expert indépendant des Nations Unies du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD).
Des défis communs à adresser et un engagement commun à poursuivre. Quelle redoutable et stimulante mission!