Haïti tue ses chiens de garde

« Lorsque vous ne parlez pas, d’autres parleront à votre place », lance Jovenel Moïse à une masse d’Haïtiens venus l’entendre à La perle retrouvée, à Montréal, en marge de sa participation au Sommet du G7 tenu à La Malbaie (Québec), en mai dernier.
Le chef de l’État promet d’entretenir ses sujets pendant seulement 15 minutes, mais il double le temps de son intervention, au final. Il en avait beaucoup à dire de lui-même.
De plus, bien avant son discours, l’équipe de communication de la présidence haïtienne, sorte d’industrie de la persuasion du régime, projette sur deux grands écrans 33 minutes ( en son et en image) de réalisations de Jovenel Moïse, depuis 15 mois. Daniel Joseph, conseiller du chef de l’État, a pour mission de museler toute question journalistique qui pourrait embarrasser son patron. Seule la version du président compte
« Ainsi meurt la démocratie »
Comme dit Roger-Gérard Schwartsenberg dans son ouvrage « L’État spectacle », « le produit devient le président. Son emballage, c’est son aspect physique, sa manière de parler, de sourire, de bouger. Sa définition, son positionnement c’est son programme »
En clair, la politique devient un spectacle, un one man show, ce qui cadre bien avec le présidentialisme haïtien. Résultat des courses, le citoyen devient un simple spectateur d’un pouvoir toujours en surreprésentation.
« Il est le témoin passif et manipulé de cette exhibition permanente. Ainsi meurt la démocratie », fait remarquer Schwartsenberg.
Or, il n’y a pas de démocratie sans communication. Et par communication (politique), « il faut entendre certes les médias et les sondages mais aussi le modèle culturel favorable à l’échange entre les élites, les dirigeants et les citoyens » selon Doinique Wolton dans « Penser la communication »
Cet échange, cette relation que le politicien doit entretenir avec le citoyen, doit être arbitré par les médias. Dans son « Essai sur le sens de l’information et son enjeu politique » Lempen Blaise fait remarquer que le pouvoir craint l’information « lorsqu’elle est en d’autres mains » Voilà donc pourquoi, il cherche toujours à en contrôler la répartition et aussi la circulation ».
Propagande à la Goebbels
D’où la volonté délibérée des pouvoirs haïtiens de monter leur propre structure de gestion de la perception à l’intérieur de laquelle ils sont eux-mêmes, et rien qu’eux, en spectacle. En Haïti il n’y a pas de médias de service public comme Ici radio-Canada.
« On a un média d’État et de service public » me balance Gamal Augustin, directeur de la Télévision nationale d’Haïti (TNH) lorsqu’interrogé sur la possibilité que ces organes servent le public et non l’État.
Un média d’État suppose que le médium diffuse uniquement le point de vue de l’acteur du spectacle politique à la manière de Goebbels (1933) dans l’Allemagne nazi où « les journalistes de ces organes sont ramenés au rang de fonctionnaire de l’État ».
Goebbels misait beaucoup sur la caricature comme arme de propagande lors de la deuxième Guerre mondiale (1939-1945). Une caricature qui est tournée autour de la dérision de l’adversaire car pour lui «en temps de guerre la population souffre et le rire devient une soupape de sûreté ».
Comme en temps de misère, tel que en Haïti, 33 minutes de réalisations en vidéo peuvent constituer une soupape d’espoir pour faire vivre le peuple.
Le « qui » qui dérange
On décrit une action de communication convenablement en répondant aux cinq questions définies par Harold. D. Lasswell dans « Structure et fonction de la communication dans la société » : qui? Dit quoi?, par quel canal?, à qui? Et avec quel effet?
Le « quoi », le canal et le « à qui » me préoccupent moins dans cette analyse. Mais, le « qui » est d’une importance capitale. Car pour Lasswell, le « qui » « s’attache à l’étude des facteurs qui engendrent et dirigent la communication ». Autrement dit, c’est l’organe de régulation et de contrôle de ce qui sera rendu public ou non. D’où la lourde responsabilité des médias dûment rompus à la pratique et aux règles éthiques de ce métier
Le « qui » peut parfois aller jusqu’à la manipulation notamment avec les bousculades des réseaux sociaux, il y a une dizaine d’années. Ces nouveaux médias qui amplifient un phénomène jusque là marginal : le journalisme citoyen. Lorsqu’elle vient d’un citoyen et surtout d’un acteur sur un échiquier politique, économique entre autres, l’information est par essence même suspecte peu fiable et non vérifiable et non sanctionnée, en bout de ligne.
D’où une absence de crédibilité de ce qui est véhiculé. Et c’est là où l’effet de cette information devient négligeable au point où les dirigeants haïtiens ont systématiquement recours aux médias indépendant pour faire passer leur message. Car, la masse, dans des moments d’éveil, interroge moins la nouvelle mais plutôt sa provenance.
À preuve, Guyler. C. Delva, actuel ministre de la Communication du régime Tèt kalé, revendique la diffusion des messages du gouvernement lors des retransmissions des maths de la coupe du monde de Russie 2018, car, explique-t-il, le gouvernement a déjà payé les frais de 2.5 millions de dollars pour les organes de presse. Et ce serait un juste échange de service selon lui.
En démocratie, les journalistes sont considérés, à travers le monde, comme les chiens de garde de cette valeur. En plus de leur rôle d’arbitre de l’ «espace public», les journalistes sont des lanceurs d’alerte qui attirent l’attention de toute la société sur des enjeux majeurs. Les contourner, les soustraire ou éliminer leur rôle d’arbitre constitue un assassinat de la démocratie comme système politique.
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One Comment on “Haïti tue ses chiens de garde”
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I cannot agree more, as my brother went on to become a volunteer in Syria, fighting alongside Syrian moderate opposition versus Assad – and died. All because US did not stop Assad in 2011-2012.