Maison d’Haïti: «50 ans de Mémoires vivantes»
La directrice de la Maison d'Haïti, Marjorie Villefranche. Ce texte est rédigé dans le cadre de l’événement «200 ans au Sommet », le samedi 7 octobre à la Tour du Vieux Port de Montréal, afin d’honorer le travail de quatre organismes de la communauté depuis 50 ans au Québec.
Il y a 50 ans, au 798 de la rue Champagneur, à Montréal, chez les Chancy, cette première Maison d’Haïti était déjà ouverte à tout le monde. Même aux autres communautés culturelles. Adeline Magloire, l’une des pionnières avec son mari Max Chancy, se souvient encore de cette soirée du jour de l’an où des Chiliens se sont réunis chez elle, en 1973, à la suite du coup d’État d’Augusto Pinochet contre Salvador Allende, au Chili.
Un immortel est même passé par là à son arrivée au Québec alors qu’il tentait de sauver sa peau. Dany Laferrière, ancien journaliste du Petit samedi soir, journal critique des Duvalier débarque à Montréal vers la fin des années 70.
«J’étais seul. Je n’avais pas d’endroit pour me reposer ni même pour prendre une douche quand quelqu’un m’a dit : c’est facile tu n’as qu’à aller chez Max Chancy, il est communiste», témoigne le célèbre romancier au sujet de l’origine de la Maison d’Haïti. Il prenait part à la première pelletée de construction de la nouvelle bâtisse de l’organisme, en 2015.
«J’ai été émue lorsque Dany a raconté cela», confie Adeline Chancy qui était présente elle aussi. «Max n’était pas là à mon arrivée, ajoute l’immortel. Sa femme m’a regardé et je lui ai dit que j’avais besoin d’une douche et 5 secondes plus tard j’étais sous la douche. Seul», s’empresse de préciser l’académicien.
Adeline Chancy, 84 ans, se souvient de ce «jeune homme un peu perdu» qu’elle connaissait à travers ses articles et qui est venu cogner à sa porte en 1976. Et, pour Adeline Chancy, l’aider a été «un moment privilégié de solidarité».
Le 798 Champagneur. «Même les duvaliéristes connaissaient cette adresse», lance en éclatant de rire Mme Chancy lorsqu’on évoque avec elle l’adresse de cette bâtisse qui représentait la première «Maison d’Haïti».
On y débattait de tout, notamment de politique. Les rassemblements du «7-9-8» permettaient de recevoir «ceux qui avaient besoin d’être reçus», de les réconforter, de réfléchir sur l’avenir, dans la perspective d’une Haïti nouvelle.
D’un petit projet d’accueil à une grande Maison
Mais les germes de structuration de la Maison d’Haïti commencent à pousser, véritablement, en 1972. Un groupe de jeunes haïtiens présente un projet d’été au Centre d’Emploi du Canada qui consiste à offrir des services d’accueil, d’accompagnement, d’interprétation et d’aide à l’établissement d’une population haïtienne fraîchement débarquée à Montréal. Une petite subvention leur est accordée pour ce faire.
Ces jeunes visionnaires s’installent dans un petit bureau du YMCA de l’avenue du Parc sous l’appellation Projet Maison d’Haïti. Charles Dehoux, Nirva Casséus et Pierre Normil sont les trois signataires, en 1973, d’une corporation que nous connaîtrons désormais sous le nom de Maison d’Haïti.
1983: le quartier Saint-Michel devient son port d’attache, une forte population d’origine haïtienne ayant choisi de s’y installer. Ce quartier poussiéreux, abandonné aux incessantes allées et venues des bernes à ordure de Montréal, se transformera peu à peu, grâce à l’implication de nombreuses familles et au travail des organisations communautaires et institutions qui s’y installent.
Finalement, un grand chantier de revitalisation auquel la Maison d’Haïti participe activement, changera pour de bon le visage du quartier. Aujourd’hui, l’organisme accueille des familles originaires de tous les coins de la planète, des personnes venues chercher asile et avenir dans ce quartier blessé, éventré, qui les accueille pourtant avec générosité.
Parmi les personnes qui ont marqué la Maison d’Haïti, y imprimant des valeurs de démocratie, de solidarité, d’ouverture et de partage, il faut mentionner Ernst Gresseau, Max Chancy et Adeline Magloire Chancy. Ces trois personnalités, accompagnées d’une équipe de jeunes militants tout aussi motivés, ont littéralement forgé l’ADN de la Maison d’Haïti.
50 ans de «Mémoires vivantes»
Il existe quatre moments, parfois graves et parfois heureux, dans l’histoire des 50 ans de la Maison d’Haïti (MdH) qui retiennent l’attention de sa directrice générale, Marjorie Villefranche.
Le premier concerne une menace de déportation massive d’Haïtiens, dans les années 70, sous Pierre Elliott Trudeau.
Le 2e est survenu en 1980 lorsqu’on accusait les Haïtiens d’être à l’origine du sida.
En troisième lieu, il y a le tremblement de terre de 2010, qui a fait plus de 300 000 morts.
Mais il y a aussi eu des moments palpitants. Comme l’inauguration, en 2016, de la nouvelle bâtisse de la MdH.
«La nouvelle maison, on était vraiment content, mais cela n’a pas toujours été le cas pendant toutes ces années», nuance la militante.
Créée en 1972, la MdH a conclu, à La Tohu dans Saint-Michel, son année de célébration du cinquantenaire par un gala sous le thème «Mémoires vivantes» en présence de nombreuses personnalités. L’ancienne gouverneure du Canada Michaëlle Jean, la sénatrice Marie-Françoise Mégie, le ministre québécois de la Lutte contre le racisme Christopher Skeete de même que les députés Frantz Benjamin, de Viau, et Madwa-Nika Cadet de Bourassa-Sauvé ont tous rehaussé l’éclat de la soirée.
«Nous avons voulu créer des retrouvailles. Avec tous les gens qui ont été sur le CA. Soit près de 90 personnes: les bénévoles, les usagers… On voulait les revoir, ce beau monde», raconte Mme Villefranche.
Double service
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a salué, dans une vidéo diffusée lors du gala, le 50e anniversaire de l’organisation. Il a indiqué que la mission de la MdH allait bien avec l’emblème du Canada, la feuille d’érable.
«Le travail que vous faites ne se limite pas aux programmes et services que vous offrez. Il permet de tenir la promesse que représente notre feuille d’érable: la promesse d’ouverture envers les nouveaux arrivants, de nouvelles possibilités, d’inclusion »- Justin Trudeau, premier ministre du Canada
Mme Villefranche se dit satisfaite d’un certain nombre de succès obtenus par son organisme, même si «beaucoup reste à faire» dans le contexte actuel, selon elle. Après un demi-siècle, certains paradigmes ont changé et de nouvelles luttes sont à livrer, soutient la responsable communautaire.
«Au départ, dit la directrice de MdH, on était là pour aider la population qui venait d’arriver au pays. Maintenant, on le fait encore pour des gens qui arrivent, mais aussi pour les jeunes qui sont nés ici. On a comme un double service.»
«Les batailles à mener, c’est en faveur de cette culture afro-québécoise. Cette affirmation-là, on la veut. Les jeunes la réclament. Ils veulent leur place», affirme la militante communautaire.
Près de 50 ans de militantisme
Marjorie Villefranche gravite autour de la Maison d’Haïti – qu’elle dirige aujourd’hui – depuis 1975. Elle a commencé bénévolement avec son projet «Ti pye zorany» (petit oranger), une activité culturelle destinée aux enfants. Son militantisme communautaire se formait déjà dès 1973 lorsqu’elle participait à Ottawa à une manifestation contre la déportation massive d’Haïtiens.
Elle a été embauchée par l’organisme en 1983 et a travaillé comme directrice des programmes avant de prendre la tête de l’organisation quelques années plus tard.
Ce texte est rédigé dans le cadre de l’événement «200 ans au Sommet », le samedi 7 octobre à la Tour du Vieux Port de Montréal, afin d’honorer le travail de quatre organismes de la communauté depuis 50 ans au Québec.