Malgré la Loi C-5, la surpopulation carcérale des Noirs ne diminue pas - Intexto, jounal nou
- Home
- /
- Politiques
- /
- Malgré la Loi C-5, la surpopulation carcérale des Noirs ne diminue pas
Photo prise lors d'une mission d’étude dans des pénitenciers de la côte Est par le Comité sénatorial des droits de la personne. Photo. Magazine SenCa+
L’absence de données, le « biais » de juges au moment de rendre leur sentence sont autant de facteurs qui pourraient nuire à la baisse de la surreprésentation des Noirs dans les prisons au Canada, malgré l’entrée en vigueur, depuis deux ans, de la Loi C-5 qui vise cet objectif. C’est du moins le point de vue de l’avocat Fernando Belton, l’un des neuf membres du Comité créé par Ottawa pour étudier la question.
La Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires (la Stratégie) a été créée à la suite de la mort de George Floyd le 25 mai 2020 au Minnesota (États-Unis) en vue d’apporter une réponse au racisme et à la discrimination systémique envers les personnes noires. Cela a « mené à leur surreprésentation dans le système de justice pénale, y compris en tant que victimes d’actes criminels », selon le gouvernement.
La Stratégie vise à garantir que les personnes noires bénéficient du même traitement devant la justice et selon la loi au Canada. Et depuis un an, le ministère de la Justice avait mandaté un groupe d’experts pour analyser le sujet et faire rapport. Le document qui est en phase de finalisation avec une centaine de recommandations place la « question de données au cœur » des préoccupations.
L’avocate Suzanne Taffot et Me Fernando Belton sont les deux membres du Comité issus du Québec. Son expérience (Me Belton) avec la nouvelle Loi C-5, adoptée depuis plus de deux ans, et qui est censée faire baisser le ratio de Noirs dans les prisons canadiennes, n’est pas concluante. Notons que la Loi C-5 laisse libre cours aux juges afin de déterminer la sentence à imposer et élimine cette notion dans le Code criminel.
Il y a un an, l’avocat criminaliste Fernando Belton représentait un jeune homme accusé de détention illégale d’arme à feu. L’accusé a quatre enfants, dont deux avec garde exclusive. Il travaille dans un emploi stable et il a « complètement changé sa vie » au moment du procès selon lui.
« Un candidat parfait pour la peine avec sursis que prévoit la loi », estime Me Belton. Mais, malgré tout, le juge l’a envoyé en prison. « C’est sûr et certain que le changement législatif est bien », analyse l’avocat criminaliste en entrevue avec In Texto. Mais il reste le problème du biais de chacun, » même moi j’en ai comme avocat noir » dit-il.
Or, le Comité a accentué son travail sur au moins cinq piliers qui sont des déterminants sociaux en matière de justice : revenu, emploi, logement, éducation et la santé. Ce sont des facteurs qui interagissent avec le système de justice et qui peuvent contribuer à la surreprésentation selon lui.
Mais dans son rapport en phase de finalisation, le Comité déplore, selon Me Belton, le fait que les autorités fédérales, provinciales et même municipales ne colligent pas les données en la matière parmi une centaine de recommandations faites au gouvernement.
Même s’il y a de bons résultats dans certains cas, juge l’avocat, en raison de ce manque de données « il y en a qui sont mitigés » également. Faute de chiffres sur la représentation des Noirs dans les prisons, Fernando Belton dit se fier à ses constats.
« Quand vient le temps de donner une sentence, le constat qu’on fait de manière générale ou la question qu’on doit se poser c’est : est-ce que le système est plus dur envers les personnes noires ? »
Nous avons invité le criminaliste à répondre à sa question. Et il nous a dit que malheureusement, « la réponse est dure à déterminer puisqu’on n’a pas de données précises et détaillées sur la situation ».
Selon Statistiques Canada, en 2021-2022, les Noirs représentaient 9,2 % de la population carcérale globale, alors qu’ils représentent environ 3,5 % de la population canadienne en général. La majorité des personnes noires incarcérées sont de jeunes hommes, la plus grande proportion d’entre eux étant âgé de 18 à 30 ans.Selon le Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada, 54,8 % des Noirs incarcérés au pays sont en Ontario, 19,2 % au Québec, 13,6 % dans les Prairies, 7,1 % dans la région du Pacifique et 5,3 % dans la région de l’Atlantique.
La question des données est au cœur du rapport du Comité qui interpelle le pouvoir du ministre de la Justice de faire de mettre en place la collection des chiffres sur les Noirs dans le système carcéral. Me Belton rappelle que si le rapport Harmony a eu autant de poids en matière de profilage racial c’est parce que les auteurs ont eu un accès direct aux données de la police de Montréal.
« Je pense que cela vaut la peine d’avoir ces données afin de pouvoir prendre des décisions éclairées », plaide l’avocat en droit criminel et pénal. Le rapport auquel il a participé va demander que les autorités revoient certaines lois fédérales, mais aussi qui sont de compétences provinciale et municipale. Les experts vont demander des « modifications » au Code criminel également.
« Il y a beaucoup d’ouverture à du changement, mais on est dans une réalité avec des champs de compétence de chacun, ce qui fait en sorte que ce ne sera pas facile », croit Me Belton.
Le Comité veut amener l’élément de racisme systémique dans l’administration de la justice, on doit prendre en compte ces aspects-là. Fernando Belton soutient que son client, qui n’avait pas bénéficié de la clémence du juge qui l’avait envoyé en prison malgré ses efforts de repentance, avait subi dans sa vie le racisme, notamment systémique. C’est une approche par rapport au droit criminel qui est différente. « Moi je crois à la notion de seconde chance », dit-il.
Soulignons que le député libéral, d’origine haïtienne, Emmanuel Dubourg range la Loi C-5 parmi les mesures phares prises par le gouvernement de Justin Trudeau en faveur des Noirs du Canada. Au total, plus de 800 millions de dollars ont été alloués pour toute sorte de programme et investissements.
Il rappelle que ces initiatives sont mises en place dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies qui est un appel mondial à l’action visant à résoudre les problèmes qui touchent aux domaines de la reconnaissance, de la justice et du développement.
Cette période prend fin justement en décembre de cette année 2024.