Montréal-Nord: il gagne à défendre une collègue noire

En 2023, Brunette Julien, une employée col bleu de Montréal-Nord s’occupe de nettoyer les toilettes. Des employés blancs avec qui elle «a un passif de racisme» ( dans le sens qu’on lui traitait de tous les mots en N et de tous les noms) prennent des photos des toilettes à sa charge et les acheminent à un gestionnaire pour démontrer qu’elle fait mal son travail.
Mme Julien est immédiatement convoquée et on lui fait croire qu’il s’agit d’une rencontre administrative et non disciplinaire. Elle prend le soin quand même de contacter son syndicat pour se faire accompagner, car elle se sentait visée par des actes racistes.
De Plus, il existe une entente à l’arrondissement à l’effet que dès qu’il s’agit d’un employé racisé il doit se faire accompagnenr automatiquement par un représentant syndical. C’est le délégué syndical Patrick Roy qui est disponible et il décide de le faire.
« Une fois sur place, mon contremaître m’appelle pour me dire de rebrousser chemin, ce que je n’avais pas fait. Cette fois c’était la fois de trop», indique M. Roy en entrevue avec In Texto. Et il reçoit rapidement un «avis disciplinaire», ce qu’il a contesté devant le Tribunal administratif du travail (TAT).
« Isoler un lanceur d’alerte »
Dans sa décision de 15 pages, sortie en décembre dernier, le TAT a déclaré que la Ville avait contrevenu à l’article 12 du Code du travail en entravant les activités syndicales du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301) et à l’article 14 de ce Code en exerçant des représailles contre Patrick Roy pour l’exercice de ses droits syndicaux.
Selon le TAT, l’intention de l’employeur était d’empêcher monsieur Roy « de s’impliquer dans l’une des activités associatives liées à la mise en œuvre des mesures d’accommodement des personnes racisées pour l’atténuation des impacts des biais raciaux systémiques ».

« Ma théorie de cause, c’est qu’on s’acharnait sur Patrick Roy parce qu’il est un lanceur d’alerte dans la situation de discrimination à Montréal-Nord », estime Frantz Élie du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal qui représentait M. Roy dans ce dossier.
En effet, en 2019, monsieur Roy avait déjà été l’objet d’une suspension de deux mois avec solde de la part de son employeur lorsqu’il avait dénoncé des pratiques de racisme systémique dans l’emploi au sein de l’arrondissement sur la page Facebook du Collectif des minorités visibles discriminées de la Ville de Montréal-Nord.
<<Acte de sabotage>>?
En relevant qu’il ne s’agissait pas d’un simple incident, le TAT a identifié plusieurs indices démontrant que monsieur Roy avait été personnellement ciblé par son employeur pour limiter sa participation aux activités syndicales, notamment le fait que l’avis disciplinaire avait été émis rapidement, sans que monsieur Roy ait eu l’occasion de présenter sa version des faits. Le tribunal a constaté que l’employeur ne s’était pas soucié de la validité des justifications de l’employé.
Ainsi, l’employeur a tenté de priver le syndicat de son droit de choisir librement son représentant dans le cadre d’une activité syndicale et d’exercer pleinement son devoir de juste représentation. Par conséquent, le TAT conclut que la sanction est injustifiée.
«Cette décision démontre qu’il existe encore des situations problématiques concernant les conditions de travail des cols bleus à Montréal-Nord », estime le directeur général du CRARR, Fo Niemi.
« Il faut impérativement tenir la direction de l’arrondissement imputable de cet abus de pouvoir », ajoute-t-il.
De son côté, Frantz Élie du Syndicat des cols bleus regroupés regrette que malgré «un passif de propos racistes envers Brunette Julien, les gestionnaires aient quand même donné une crédibilité à la démarche de ces employés blancs».
« Entre le moment de la prise de photos il y un laps de temps qui permet à n’importe qui d’aller saboter le travail fait», évoque M. Élie dans sa défense.
Notons que depuis la diffusion en mai 2021 de deux rapports confirmant l’existence de pratiques de racisme systémique dans l’emploi à Montréal-Nord, telles que des sanctions abusives et une dotation arbitraire, le traitement des griefs déposés par le syndicat au nom d’une quarantaine de cols bleus racisés n’a toujours pas été résolu à ce jour, malgré les négociations entamées entre l’employeur et le syndicat depuis le printemps 2024.
«Ils ont voulu isoler Mme Julien pour exercer les mêmes affaires qu’avant »-F. Élie