Montréal:des Haïtiens aident des sans-abris de la rue Notre-Dame
L’organisme à but non lucratif Nap fe san kapab (NSK) (On fait ce qu’on peut) a procédé le samedi 24 octobre 2020 à la distribution de plusieurs centaines de plats chauds et de denrées non périssables à des Montréalais devenus itinérants depuis quelques mois, en raison des méfaits de la Covid-19.
Les occupants du campement longeant la rue Notre-Dame (une centaine), qui représentent la plus forte concentration de ces infortunés, ont salué ce geste qu’ils qualifient de « respectueux » et d ’ «humaniste », tout en faisant l’éloge de la cuisine haïtienne.
« Vous nous avez apporté du bon griot haïtien, du bon pikliz, du bon riz collé? », ont lâché certains d’entre eux qui se sont vite attroupés, tout en rigolant et en poussant des cris de contentement et de satisfaction.
Visages rayonnant de joie, hommes et femmes, de différentes cultures, vivant sous des tentes au parc Dézéry délimité par les rues Dézéry, Winnipeg, Sainte-Catherine et Notre-Dame, ont accueilli chaleureusement l’équipe de NSK composée de jeunes Haïtiennes et Haïtiens âgés entre 20 et 25 ans.
La plupart des campeurs sont venus prêter main forte à l’équipe afin de décharger les véhicules transportant les aliments pour les déposer à la cantine du campement, tout en respectant les principes sanitaires en vigueur : distanciation physique, port de masques et même de gants en la circonstance.
« C’est pour nous un jour de fête. La nourriture est très bonne. J’ai mangé deux assiettes », a confié une Québécoise affirmant avoir grandi à Saint-Michel et à Montréal-Nord.
Certains ont dégusté leurs plats aux alentours de la cantine, tandis que d’autres sont partis dans leurs tentes avec les leurs.
Un geste humaniste
S’exprimant en la circonstance, le président fondateur de l’organisme, Johnley Pierre, a souligné le côté humaniste de cette initiative.
« On est tous des humains, cela nous touche au cœur, mon équipe et moi. Ces sans-abris vivent dans des conditions difficiles, il leur faut de l’aide », a soutenu le jeune haïtien, ajoutant qu’un membre de sa famille pouvait en être du nombre.
Minimisant la nature de l’aide apportée aux nécessiteux, Johnley Pierre a plutôt mis en exergue la visite de terrain, les échanges et le partage des douleurs de ces derniers.
« Le plus important est le fait de les rencontrer, de leur parler, de voir leur façon de vivre, d’identifier leurs besoins et d’agir en conséquence, afin surtout d’éviter que le nombre grossisse », a-t-il fait remarquer, tout en assurant que l’équipe de NSK travaille déjà sur le type de soutien à donner à ces gens à l’approche de la saison hivernale.
Le responsable des affaires internationales de l’organisme, Babacar Diaw, d’origine sénégalaise, a abondé dans le même sens. Selon lui, tout le monde peut tomber dans l’itinérance, comme la Covid-19 l’a décidé pour ces personnes.
« Aujourd’hui ce sont eux, mais demain ça peut être nous. C’est pourquoi il est nécessaire de venir auprès d’eux, de passer la journée avec eux, pour mieux comprendre leur situation », a-t-il assumé.
Le vivre-ensemble
En dépit de la Covid, ces jeunes se sont rassemblés pour venir apporter de l’aide à ces personnes en difficulté. C’est une victoire tant pour la communauté haïtienne que la communauté québécoise, et c’est aussi la concrétisation du vivre-ensemble », s’est réjouie Mme Civil d’origine haïtienne, venue d’Ottawa spécialement pour l’activité.
Coup d’œil sur le campement
Jacques Brochu, 60 ans, d’origine amérindienne du côté maternel et française du côté paternel, se pressente comme l’un des premiers campeurs de ce site.
Vivant en hôtel de confinement pendant deux mois et demi (avril-juin 2020), il a été avisé le 23 juin que dans deux jours, soit le 25 juin, lui et les autres occupants se seraient plus hébergés. C’est ainsi qu’il est arrivé sur ce site le 25 juin 2020 où il a dormi trois nuits d’affilée à la belle étoile, n’ayant pas encore de tente.
Jacques est retourné dans un centre d’hébergement pendant quelques jours, mais il avait de la difficulté à dormir. Sur ce, il est revenu au parc Dézéry où il a planté sa première tente le 3 juillet 2020. Il est donc le deuxième campeur de ce site avec une tente.
La source du problème
Le problème est lié en partie au manque d’espace dans les centres d’hébergement, en raison de la Covid-19, révèle M, Brochu, d’un ton calme et avisé.
« Les 4 ou 5 principaux centres d’hébergement que compte Montréal ont réduit de trois quart le nombre de personnes qu’ils pouvaient accueillir », note-t-il, soulignant que les hébergements d’urgence dans les arénas ne fonctionnent pas.
« Les arénas sont destinés à satisfaire les besoins de la foule. Si 50 personnes dorment dans un tel espace, le moindre bruit de l’un va contrarier l’ensemble, et ce sera désagréable », se désole le sexagénaire.
Jacques Brochu admet toutefois avoir un problème avec les bruits de la circulation sur la rue Notre-Dame. Mais il y a, selon lui, un avantage dans cet inconvénient. C’est que, à l’aide des sons de la circulation, quand eux ils festoient dans le campement, ils ne dérangent pas les voisins.
Selon les dernières estimations faites par M. Brohu qui se présente comme une personne-ressource pour le campement, de concert avec les pompiers, environ 85 personnes vivent sur le site et 94 tentes y sont plantées. Les occupants sont des Québécois, des Vietnamiens et des descendants des Premières nations.
Il y avait au moins deux Haïtiens qui y vivaient également, mais ils sont partis récemment, probablement vers un centre d’hébergement, confie le baron du campement.
La survie du campement
« Les campeurs ne reçoivent de l’aide ni du gouvernement, ni de la ville. Seulement de bons samaritains nous tendent la main », assume Jacques Brochu, déclarant assurer une distribution équitable des dons qu’il reçoit.
Il indique également travailler à l’agrandissement de sa cuisine qui, pour le moment, peut servir entre 8 et 10 personnes. D’ici la semaine prochaine, il espère que plus de gens pourront profiter de ses repas.
« Je peux cuisiner même pour 100 personnes, ayant déjà offert mes services de cuisinier à un organisme communautaire », rappelle-t-il.
Côté sécurité, tout va bien, poursuit-il, faisant part de seulement quelques vols de nourriture qu’il déplore d’ailleurs.
« Je me sens plus en sécurité ici que dans un centre d’hébergement où on se fait voler juste un instant d’inattention », s’enorgueillit le papa du campement.
Côté convivialité, tout est calme, révèle-t-il, signalant seulement de petites altercations aux alentours de la cantine autour de laquelle gravitent environ 100 personnes. «De légères altercations qui se règlent vite et bien », se félicite-t-il.
Le campement et l’hiver
Jacques Brochu se fait tranchant sur ce point. Lui et sa troupe sont prêts à affronter l’hiver, faisant fi des avertissements de la ville. Ils songent même à construire un mur isolant (de fortune) pour résister à la rudesse de la saison hivernale.
« La mairesse nous promet que l’hiver va être trop dur pour nous, mais moi, j’invoque la Mère Nature pour qu’elle soit clémente envers nous. Mon appel est sûrement plus fort que celui de la mairesse, et je suis confiant. On veut nous sortir d’ici, mais nous sommes en train de nous organiser pour leur montrer qu’on n’a pas besoin d’intervenant pour nous dire quoi faire », lâche M. Brochu, d’un ton plutôt sérieux et déterminé.
Face à la détermination de ces campeurs, les dirigeants doivent agir promptement pour éviter le pire.
Si diriger c’est prévoir, ils ne peuvent pas accepter qu’en plein 21e siècle, en plein cœur de la ville de Montréal, des itinérants songent à affronter l’hiver en hommes des cavernes, confiant leur sort à la Providence.