Pourquoi Emmanuel Dubourg ne se représentera pas ?
D'ici deux ans, aux prochaines élections, Emmanuel Dubourg va raccrocher ses patins politiques après 18 ans
Né à Saint-Marc (Haïti), le jeune Emmanuel Dubourg a 15 ans lorsqu’il immigre avec sa mère au Québec en 1974 dans le cadre de l’opération «Mon pays» de l’ancien premier ministre Pierre-Elliot Trudeau, père de l’actuel chef de gouvernement. Il pose ses valises dans le comté de Bourassa sans savoir qu’un jour il allait devenir député de cette circonscription, aujourd’hui, la plus pauvre au Canada et qui accueille des nouveaux arrivants.
Il se tenait loin de la politique et embrasse les chiffres pour devenir comptable agréé. Il roule sa bosse chez Revenu Canada, enseigne à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), passe deux ans au Mali (Afrique) à former des inspecteurs du fisc. Bref! Emmanuel Dubourg a la tête plongée dans les comptes lorsqu’il est approché par l’entourage de Jean Charest, ancien premier ministre du Québec, pour faire le saut en politique.
L’ancien premier ministre lui propose un comté gagnant (Viau-Saint-Michel) et lui promet de tout faire pour qu’il réussisse. «J’ai signé avec le PLQ sans rien savoir ce que c’était la politique, je n’y avais jamais milité, je n’ai jamais suivi de cours en Sciences Po», confie-t-il en entrevue avec In Texto.
Vu par Charest et Trudeau
Et le 26 mars 2007, il est devenu le seul Haïtien à être élu à l’Assemblée nationale du Québec, après Jean Alfred en 1976. Trois ans plus tard, un séisme majeur frappe Haïti, le 12 janvier 2010. Dans l’euphorie et sous le choc de cette catastrophe qui frappe son pays d’origine, il tient une conférence de presse dans son bureau de comté et oublie d’avertir son chef.
«On en a parlé entre nous… il a compris que j’étais novice en politique. Mais c’était important que je l’avertisse», reconnait-il aujourd’hui. Mais ces faux pas n’ont pas empêché qu’il devientnne très proche de Jean Charest jusqu’à le convaincre de mettre sur pied un programme humanitaire qui allait au final accueillir plus de 10 000 Haïtiens au Québec.
Deux ans plus tard, M. Charest perd les élections. Mais, Emmanuel Dubourg, lui, est réélu facilement dans Viau. «C’était un moment déchirant, se souvuient-il, je m’appuyais beaucoup sur Jean Charest, mais il a perdu, ce qui m’a placé dans l’opposition en 2012.»
Parallèlement Justin Trudeau, jeune député de Papineau, vient de prendre la tête du Parti libéral du Canada (PLC), en 2013, et se prépare pour les élections de 2015.
Il voulait être ministre
Le chef du PLC le rencontre en privé et lui propose de se présenter dans Bourassa. Il hésite, sa famille aussi. «Je disais… ben non. Je suis dans Viau, je gagne facilement mes élections, pourquoi quitter? ». Il dit avoir songé à un poste d’ambassadeur du Canada dans un pays chaud, un peu plus tard dans sa carrière.
«J’ai d’autres plans pour toi », lui aurait rétorqué Justin Trudeau. Les deux hommes ont alors discuté de ces plans et Emmanuel Dubourg évoque avec le chef du PLC la possibilité qu’il intègre son cabinet.
«On a parlé de cabinet ministériel. Je lui disais que dans les opportunités je lui avais dit clairement cela que je souhaitais devenir ministre un jour. Et il m’a dit bon… on verra.», révèle le député de Bourassa.
Contre les avis de sa famille, de ses enfants il décide de se lancer lors d’élections complémentaires en 2013 qu’il a remportées à 43% des voix. «C’était une campagne à l’américaine, puisque le NPD avait tout fait pour me salir avec des brochure, des affiches avec ma photos, mais j’ai gagné avec un fort pourcentage.»
Aux dernières élections, il a gagné avec plus de 60% des voix contre son plus proche rival qui en a fait moins de 20%. Au fil des ans, Emmanuel Dubourg s’est imposé dans ce comté multiethnique comme l’homme fort. Et il a un secret pour cela.
«C’est la qualité des services aux citoyens., dit-il, cela a toujours été mon point fort dans toute ma carrière que ce soit comme comptable agréé, à Revenu Canada, comme enseignant, on est là pour servir les gens.»
Mais malgré tout, la semaine dernière en Chambre, le député de Bourassa annonce à ses collègues qu’il raccrochera ses patins politiques d’ici deux ans. Pourquoi? In Texto lui a posé la question de savoir si cela a lien avec le fait que depuis 10 ans il a été comme la cinquième roue du carrosse libéral.
«Toute personne qui se présente en politique, la première des choses c’est d’être élu pour pouvoir un jour être accéder au conseil des ministres. Je pense que si quelqu’un vous dit le contraire, ce n’est pas vrai ça. Oui je le souhaitais, ce n’est pas arrivé, Mais il faut toujours revenir aux vraies valeurs : Je suis resté quand même pendant 10 ans et il faudra poser la question au premier ministre.»
Mais Emmanuel Dubourg jure que «cela n’as pas changé ma relation avec lui [Justin Trudeau]», et que cela n’a aucunement motivé sa décision de ne pas se représenter comme candidat du PLC.
Le député évoque son âge, la transparence entre autres pour expliquer la raison de cette annonce deux ans avant l’heure. «Essentiellement, le mois prochain je vais avoir 65 ans, un âge qui résonne. Cela fait 40 ans de services aux Canadiens, je considère que j’ai fait de mon mieux avec discipline et persévérance. Il arrive un moment où on se dit : il faut se retirer.»-E. Dubourg.
D’ailleurs, le comptable affirme qu’il ne sera pas loin de la politique après tout ni de son parti. Il ajoute qu’il fallait dire aux citoyens de Bourassa la «vérité» et parle de la nécessité pour le parti d’avoir amplement le temps pour lui trouver un remplaçant.
Réalisations et regrets
Il estime avoir «fait le tour du chapeau» comme député de l’opposition et de la majorité à la fois au Québec tout comme au fédéral. En 16 ans de politique active, Emmanuel Dubourg présente un bilan mitigé de ses réalisations, ponctué de regrets également.
En matière d’immigration, le parlementaire d’origine haïtienne dit avoir fait ce qu’il a pu pour sa communauté de base mais aussi pour la foultitude d’ethnies de sa circonscription.
La lutte contre la violence liée aux gangs de rue, celle faite aux femmes, il dit avoir aidé de nombreux organismes à obtenir des millions de dollars du fédéral.
Un édifice pour femmes battues a même été construit dans le comté grâce à son travail d’entremetteur politique à Ottawa au nom de ces structures communautaires.
Parfois, il rencontre des ministres sur des projets spécifiques, il fait venir des fonctionnaires dans le comté pour discuter avec le milieu des enjeux.
Mais l’un de ses plus gros regrets reste le projet de construction d’un Centre sportif qui n’arrive toujours pas à passer à Ottawa, malgré deux tentatives successives. Des critères environnementaux ont fait en sorte que le projet ne répondait aux exigences fédérales en la matière en deux occasions.
« Moi je ne sais pas écrire des projets donc ce sont les spécialistes qui doivent le faire mais je le soutiens, ce projet. Il me reste deux ans à passer ici je souhaite ardemment que je puisse annoncer la construction d’un centre sportif. Mon bureau continue de travailler là-dessus.», assure le député
Il confie à In Texto que des partenaires privés voulaient participer à la construction, à condition d’accorder seulement quelques heures gratuitement aux citoyens de Bourassa. «Mais nous ce n’est pas cela qu’on veut. On veut que le centre appartienne aux gens», soutient Emmanuel Dubourg.
Encadré
Au cours de sa carrière, le député a écrit un projet de Loi sur le transfert d’une entreprise familiale. Mais il a été tué au feuilleton en raison du déclenchement d’élections quelques temps après. Le NPD le Bloc québécois ont tenté de reprendre le projet tel quel. Ce sont finalement les Conservateurs, en 2019, qui l’ont repris et l’ont déposé sous l’actuel gouvernement minoritaire, sans lui accorder le crédit. «Aujourd’hui, c’est une loi qui a reçu la sanction royale», se réjouit malgré tout Emmanuel Dubourg. Emmanuel Dubourg a échoué l’examen de l’Ordre des comptables agréés la première fois. Mais avec discipline et persévérance, il a réussi la 2e fois. M.Dubourg a reçu, par la suite, plusieurs distinctions de l’Ordre dont le titre de Fellow détenu par moins de 2% des 43 000 membres de la profession. Aujourd’hui il fait parti du Jury de sélection des futurs Fellow. Interrogé à savoir s’il souhaite un autre candidat haïtien pour le remplacer dans Bourassa : «Moi, Je dis : que le meilleur gagne!!» «Je veux prendre le temps de voyager et faire des choses. Je ne sais pas nager par exemple, et j’aurais aimé apprendre» «La communauté haïtienne, ma communauté de base, me l’ont rendu au centuple.»«J’aurais aimé qu’on ne se retrouve pas à cette dernière position là de comté le plus pauvre au Canada. Mais cela ne dépend pas uniquement de moi.»
À propos d’Haïti
«Souvent les gens disent que je suis député d’origine haïtienne et que je ne fais pas grand-chose pour Haïti. Je suis député certes, Haïtien mais d’un comté canadien»« J’aurais pu faire ce que j’ai fait au Mali, mais on ne me donne pas la possibilité. J’aurais pu calquer cela là-bas »