Profilage racial: la police de Laval condamnée
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) vient de condamner la Ville de Laval (SPVL) et deux de ses policiers (Michael Boutin et Sophie Lavoie) à payer environ 24 000 dollars pour «profilage fondé sur la race, la couleur, le sexe et la langue ainsi que de discrimination fondée sur le handicap» à Pradel Content, un Lavallois d’origine haïtienne.
C’est le Centre de recherche action sur les relations raciales (CRARR) qui a l’aidé à porter l’affaire par devant la Commission.
L’histoire remonte à mai 2017 lorsqu’une patrouille intercepte M. Content dans le stationnement d’une station-service située au 1013, boulevard des Laurentides, dans le quartier Pont-Viau à Laval afin de « vérifier » sa plaque d’immatriculation et lui demande de s’identifier avant de l’amender «pour avoir conduit en utilisant un appareil tenu en main.»
« Ils ont déclaré que M. Content les filmait en conduisant. Or, la preuve recueillie ne supporte pas cette allégation. D’ailleurs, M. Content a contesté la contravention reçue à cet effet et obtenu gain de cause. »– écrit la CDPDJ dans sa Décision.
L’intervention se serait déroulée dans un climat de violence. Pradel Content affirme avoir été agressé par l’un des policiers.
« Lorsque l’agent Michael Boutin est sorti de l’autopatrouille pour se diriger vers M. Content, il aurait immédiatement donné un coup sur la main de ce dernier pour faire tomber son cellulaire, l’aurait poussé contre la voiture et menacé de l’envoyer en prison pour l’avoir filmé. » peut-on lire dan le document de la Commission.
Mensonge et suppression de preuve
M. Content a aussi indiqué que l’agent Boutin lui aurait dit, pendant l’intervention, qu’«il est chanceux d’être au Québec puisqu’en Floride, ils tirent des gens comme lui. »
Avant de se réinstaller au Québec, M. Content, né dans la province vivait en Floride pendant 17 ans en effet et s’exprime plus en anglais et en créole qu’en français.
Les agents auraient fouillé le cellulaire de M. Content et supprimé, sans droit, les vidéos qui s’y trouvaient, effaçant ainsi tout élément de preuve.
L’enquêteur a eu recours à la vidéo de la station service pour avoir la vraie version de l’histoire.
« Il ressort de la preuve que M. Content aurait été victime d’un traitement différencié ou inhabit.uel de la part des agents Michael Boutin et Sophie Lavoie lors de leur intervention du 14 mai 2017 du fait, notamment, de son appartenance à des groupes protégés par la Charte. »-Extrait de la décision
À la suite de leur intervention, les policiers ont remis à Pradel Content un constat d’infraction pour avoir conduit en utilisant un appareil tenu en main. Ce constat était rédigé en français et les agents ne lui auraient pas expliqué, en anglais, l’infraction qui lui était reprochée.
À la suite d’une plainte du public, les agents ont rédigé, le 8 juillet 2017, un rapport d’évènement complémentaire qui contiendrait des faussetés, des déformations ou exagérations notamment en ce qui a trait à l’état dans lequel M. Content se trouvait lors de leur intervention.
Dans ce rapport, les agents décrivent M. Content comme un homme qui n’est pas dans un état normal, agité, bougeant sans arrêt, désorganisé, agressif et arrogant.
« Or, l’enregistrement vidéo de la station-service déposé en preuve ne supporte pas ces allégations.», indique la Commission dans rapport d’enquête
« Je me sens mal. Parce que, à cause de la couleur de la peau, on harcèle les Noirs, les Arabes. Moi je suis venue au Québec en 1972 et ce n’était pas comme ça.», peste Marie Rose Théodore, la mère de Pradel Content.
La femme de 74 ans, qui souffre d’arthrite, dit accompagner son fils partout où il va depuis les événements de mai 2017. Qu’il pleuve, qu’il tonne, elle brave le froid pour être sûre que son fils ne se fera pas « pincer » par la police injustement.
« Nous avons 30 vidéos d’interception par la police depuis 3 ans.», confie Pradel Content en entrevue à In Texto.
Mesures de redressement
Tenant compte de l’intérêt public, la Commission propose enfin à la partie mise en cause, Ville de Laval (SPVL), les mesures de redressement suivantes, soit :
D’ADOPTER ET DE METTRE EN ŒUVRE une politique visant spécifiquement à lutter contre le profilage racial et EN ASSURER la diffusion au sein des policiers, superviseurs et dirigeants actuellement à l’emploi de son service de police, ainsi qu’aux employés à y être embauchés, le tout dans un délai d’un an de la notification de la présente résolution, et EN TRANSMETTRE une copie à la Commission dans ce même délai, ladite politique incluant notamment les éléments suivants :
a) La mention de l’existence du phénomène du profilage racial dans les interventions policières et la possibilité de préjugés conscients ou inconscients lors de telles interventions; b) Les principaux préjugés liés aux différents groupes racisés, dont notamment les personnes de race noire.
« Trop tôt » selon la police
La police de Laval a décliné notre demande d’entrevue sur le sujet du moins « pour le moment ». Geneviève Major des Affaires publiques et Pratiques policières estime qu’il est encore tôt.
« Lors de jugement comme celui-ci, le Service de police prend le temps de s’approprier le contenu du rapport avant de faire de plus amples commentaires. Il est trop tôt pour mentionner quelles seront les étapes à suivre.»-Lieutenant Geneviève Major
Or, selon la Commission, il ressort de la preuve que M. Content aurait été victime d’un traitement différencié ou inhabituel de la part des agents Michael Boutin et Sophie Lavoie lors de leur intervention du 14 mai 2017 du fait, notamment, de son appartenance à des groupes protégés par la Charte.
Des amendes pour la police
En plus par la Ville de Laval de verser 18 000 dollars à la victime alléguée, la Commission demande au policier Michael Boutin, de verser à M. Pradel Content, une somme de 4 000 $ (quatre mille dollars) à titre de dommages-intérêts punitifs en raison de l’atteinte illicite et intentionnelle à ses droits.
Quant à la policière Sophie Lavoie, une somme de 2 000 $ (deux mille dollars) lui est réclamée.
La CDPDJ appelle aussi à une politique visant spécifiquement à lutter contre le profilage racial et en assurer la diffusion au sein des policiers, superviseurs et dirigeants actuellement à l’emploi de son service de police, ainsi qu’aux employés à y être embauchés, le tout dans un délai d’un an
Elle exige également qu’une formation assurée par un expert en profilage racial pour contrer la discrimination sous forme de profilage avec une évaluation formelle des acquis pour les policiers actuellement à son emploi ainsi que les policiers à être embauchés, soit donnée. Les superviseurs et les dirigeants devraient être formés aussi.
Un délai expirant le vendredi 6 novembre 2020 à 15 heures est accordée aux parties mises en cause pour satisfaire ces mesures.
Faute par les parties mises en cause de mettre en œuvre, dans le délai imparti, la présente proposition, la Commission MANDATE sa direction des Affaires juridiques pour s’adresser à un tribunal en vue d’obtenir, compte tenu de l’intérêt public, toute mesure appropriée ou pour réclamer, en faveur de la victime, toute mesure que la Commission juge alors adéquate.
Données raciales
La CDPDJ appelle Laval et sa police de « recueillir et de publier » systématiquement les données concernant l’appartenance raciale perçue et/ou présumée des individus faisant l’objet d’une interpellation policière afin de documenter le phénomène du profilage racial.
Elle doivent aussi adopter une directive ou une politique formelle concernant l’usage et la saisie, le cas échéant, de téléphones cellulaires, de caméras ou de tout item permettant l’enregistrement ou la captation lors d’une intervention policière, laquelle directive ou politique précisera le droit des individus de procéder à l’enregistrement ou la captation d’une telle intervention, dans le respect de la loi et D’EN TRANSMETTRE, dans ce même délai, une copie à la Commission.
Cette mesure devrait toucher tous les policiers, mais aussi les superviseurs et dirigeants actuellement à l’emploi de la Ville ainsi qu’aux employés à être embauchés.
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Québec : « Liberté académique » ou droit à l`injustice, au racisme, et à la violence systémique ?
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