Profilage racial: quand des policiers s’expriment sur le phénomène - Intexto, Journal Nou
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Les tribunaux condamnent les Villes et leurs agents de la paix, le ministère de la Sécurité publique émet de nouvelles Directives, les corps de police mettent en place de nouvelles Politiques d’interpellation afin de prévenir le profilage racial, malgré tout une majorité de policiers nie l’existence du phénomène. Ces derniers dénoncent une mauvaise presse dont ils seraient victimes grâce au travail « malveillant » de certains organismes.
Dans un Cahier intitulé « Le profilage racial, Définition, expériences des victimes et conséquences », l’Observatoire des communautés noires vient de rendre publique son étude sur le sujet. Une bonne partie est consacrée au point des agents eux-mêmes et non des directions des institutions.
L’équipe de recherche a rencontré des agents du Service de police de la Ville de Repentigny (SPVR)- 12 entrevues- et du Service de police de la Ville de Montréal ( SPVM) avec 69 agents qui se sont exprimés librement.
Pourtant, la majorité des membres des forces de police réfute « l’intention raciste » dans les actes qu’ils posent. Ils se présentent comme étant des victimes des médias, des organismes ou des citoyens qui n’aiment pas la police tout simplement. À Repentigny, les agents n’hésitent pas à pointer du doigt certains organismes.
Cette mauvaise presse « proviendrait d’une poignée de militant.e.s qui ne seraient motivé.e.s que par la résonance médiatique que suscite la question du racisme. Les policiers ciblent particulièrement le Centre de Recherche Action sur les Relations raciales (CRAAR), qui conseillerait directement à certaines personnes interpellées d’entamer des poursuites contre le SPVR », indique l’étude.
Tandis qu’à Montréal, les agents évoquent la malveillance de certaines personnes, mais aussi la méconnaissance du travail policier. D’ailleurs, les agents qui ont participé à l’étude l’ont fait dans l’intention de «rétablir la vérité sur leur travail et de réfuter toutes les accusations de racisme et de profilage racial».
Les agents prennent la parole aussi afin de démonter le 1ᵉʳ rapport de 2019 sur la question qu’ils considèrent comme « hostile » et à la nouvelle politique d’interpellations mise en place par leur direction.
- Ce rapport établissait que les Noirs, les Arabes et les Autochtones sont beaucoup plus susceptibles d’être interpellés par le SPVM, alors qu’ils ne constituent que 10% de la population.
- Ainsi, à Montréal, de 2014 à 2017, le nombre d’interpellations a littéralement explosé, passant de 19 000 à plus de 45 000, soit une augmentation de 143%. Toutes les catégories sont touchées par la hausse des interpellations, y compris la population blanche.
La nouvelle politique d’interpellations (mise en place en 2020) qui découle du rapport qui manque «de contextualisation » et ses conséquences sont désastreuse de l’avis des agents. Ils refusent d’évoquer le profilage racial lorsqu’ils parlent de disparité dans les interpellations des trois groupes cités dans le rapport de 2019.
Les disparités seraient donc liées à un profilage criminel licite et fondé sur des appels de citoyen.ne.s qui auraient des motivations racistes ou teintées de préjugés selon eux.
«Si ces explications ne sont pas dénuées de sens, elles ne sont pas suffisantes pour justifier les disparités observées en 2019. Cette façon de se légitimer est symptomatique de l’attitude de la majorité des agent.e.s du SPVM interrogé.e.s en évacuant complètement le profilage racial des explications », écrivent les auteurs de l’étude de l’Observatoire.
Les membres du SPVM perçoivent la nouvelle politique comme une réponse aux allégations de racisme qui pèsent sur leur service. Une grande majorité se sent par la même occasion, lâchée par leur hiérarchie sur l’autel des « apparences », observe l’Observatoire.
En raison de tout cela, une majorité de policiers se sont désengagés, ce qui expliquerait une « baisse de volume des interpellations ». Les policiers ont, malgré tout, quelques remarques positives sur cette nouvelle politique. «Mais, force est de constater que son utilité et son impact sont jugés faibles voir insignifiants par les personnes interrogées », note l’étude.
L’Observatoire dit constater l’émergence d’une minorité « porteuse d’espoir » au SPVM par rapport à la question. Environ 15% des 69 policiers interrogés ont un point de vue plus large.
Parmi les 69 policier.ière.s interrogé.e.s pour le SPVM, 24,6 % (17 sur 69) ne s’identifient pas à la majorité blanche alors qu’ils-elles ne représentent que 8 à 9 % des effectifs totaux.
Si pour la majorité des policiers il n’y a pas de problème de racisme, le groupe minoritaire dénonce «les propos et les actions racistes observés lors des conversations et des interventions sur le terrain ». Selon ces agents qui ont été victimes avant même d’entrer dans la police, cela serait constant et généralisé à l’ensemble de l’organisation.
Cette minorité brise la sacrosainte solidarité policière et la réserve envers le monde extérieur (non-policier). «En effet, une position aussi ferme et dissonante est inédite et détonne : le racisme au sein de cette institution est dénoncé par ses propres membres », relève l’étude. L’équipe de recherche met en avant le cheminement intellectuel de cette minorité de participant.e.s par sa compréhension plus large des termes de racisme, de profilage racial ou de racisme systémique.
Cette minorité racisée au sein du SPVM dénonce également des orientations stratégiques de la direction, telles que la lutte contre les gangs de rue. Leur identité racisée les empêcherait également de bénéficier de promotion au sein de l’Institution, d’où un manque de diversité constaté au sein de la direction du SPVM.
Elle estime que la direction ne les soutient pas assez aux dénonciations sur le comportement de certain.e.s collègues sur des faits de racisme.
« Pour terminer, nous pouvons dire qu’entre 2019, date du premier rapport, et 2023, date du dernier rapport, les choses ont peu évolué. Même la ligne directrice du ministère de la Sécurité publique sur les interpellations policières de novembre 2023, fait face aux critiques de chercheur.se.s et de la société civile qui la jugent insuffisante. », concluent les chercheurs de l’Observatoire.
L’Observatoire des communautés noires du Québec
Financé par la Fondation Lucie et André Chagnon, l’Observatoire des communautés noires du Québec est une initiative du Sommet Jeunes Afro qui documente les réalités socio-économiques des Afro Québécois.ses afin de contribuer à leur essor.
Il déploie des méthodes participatives de recherche pour mieux répondre aux préoccupations des communautés noires et des acteurs de terrain.