Québec: l’héritage du vodou haïtien chez les jeunes
L'auteur de ce texte est artiste-peintre, écrivain, ex-professeur de Méthodologie de la Recherche, à l´INAGHEI, à l’Université Épiscopale d’Haïti et à l’École Supérieure des Sciences Politiques Appliquées, ESSPA.
La paysannerie haïtienne, le dépôt par excellence de la culture nationale, a tout fait, dans l´oralité et le gestuel, pour préserver nos us et coutumes à travers le temps. Certains intellectuels haïtiens et chercheurs étrangers, comme un Jacques Roumain et un Alfred Metraux, ont exécuté des travaux de recherches, pour susciter des réflexions sur l´idéologie vodou, mais ces tentatives de sauvegarde et d´éclaircissements y relatives n’ont pas été suivies d´une structuration cognitive à même de synthétiser une pensée intellectuelle, analytique, en prolongement des croyances empiriques.
Les arts, comme le théâtre, la musique et la peinture ont fait leur part d’illustration, mais n´ont pas pu contrer tous les stéréotypes étrangers, parce que confinés presque exclusivement dans l’espace haïtien. Il se dessine actuellement une nouvelle réalité à l’étranger où des jeunes Haïtiens et Haïtiennes veulent s’affirmer culturellement, et ils entrainent avec eux une génération de Blancs et de Blanches, très ouverts à la culture haïtienne.
Si, dans les années 80, la cuisine haïtienne, par exemple, était très mal connue au Québec, c´est devenu tout à fait le contraire, si bien qu’aujourd’hui, des Blancs et Blanches se bousculent dans les restaurants haïtiens, très nombreux à Montréal, pour se faire servir.
Une telle affluence s’observe davantage avec la pandémie qui a entrainé un désavantage pour les restaurants chinois. C´est le moment plus que jamais de structurer une nouvelle visibilité d´Haïti. Je suis de ceux-là qui s’engagent à le faire, en utilisant leurs propres moyens, sans folklorisme, sans intérêt personnel, et surtout sans appât du gain. Il y va du prestige national.
Il est venu le temps de n’avoir plus honte de s’exprimer dans sa culture propre, par sa langue et son art de vivre. C´est assez encourageant en Amérique du Nord, particulièrement au Québec, que ce soit des Jeunes Haïtiens et Haïtiennes qui ont d’eux-mêmes pris la relève, sans transmission systémique. En ce sens, dans un élan personnel et désintéressé, je m’investis dans leurs rangs, car ils ont besoin de guide et d´une bonne canalisation.
Depuis environ une dizaine d’années, avec la parution de mon roman « Le plus long Jour de Chasteté », œuvre prémonitoire, qui parlait déjà de changements majeurs au Vatican, sous l´emprise de la Czestchotowa, la vierge Noire de la Pologne, et dont tout un chapitre annonçait que la terre allait trembler en Haïti, j´avais créé des ouvertures sur l’intériorité vodou, en décrivant certaines divinités dont les mystères m´ont été inspirés. En voici quelques extraits, dans le cadre de l´initiation du Blanc Karol Vatulaː
« Bawon Sanmdi et Grann Brijit se détachent en Esprits, sur un nuage sombre. La gravité du visage du Prince des cimetières, ainsi que l’austérité de la face de sa femme, dénotent leur ascendance sur un monde angoissant et tragique.
« Bawon porte un costume de drap noir, garni de deux rangées de boutons dorés, tous gravés respectivement d’un crâne, entouré d’une paire de fémurs croisés. Cette redingote, au collet très haut, est munie de basques vers le bas, qui laissent à découvert une proéminente braguette, symbole de la méditation sensuelle dans le cercle des guédés. Cintré à la taille, avec revers et collet de velours, cette espèce de frac est porté dessus une chemise à manches longues, faites de deux étoffes alternées։ Velours et satin, de couleur blanche et noire. Endossée entre la chemise et la redingote, une camisole mauve, de même couleur que le pantalon, complète cette tenue d’un sublime mortuaire.Retranché derrière ses lunettes noires, canne à la main et coiffé d’un haut chapeau de feutre, Bawon bouffe pratiquement son cigare.
« Assise à sa gauche, côté cœur, sur un cathèdre en marbre blanc, Grann Brijit s’impose comme une Châsse bizantine. Vêtue d’une longue robe blanche de fine toile, munie de manches à brassards retroussées aux épaules, elle resplendit dans de riches fournitures d’or et d’argent. Le bas de la robe, très étoffé, est légèrement relevé à l’aide d’un troussoir d’orfèvrerie. À la taille, elle porte une ceinture mauve à laquelle s’attachent une escadrille, un épinglier et un petit couteau dans sa gaine. Sur sa chevelure, séparée d’une raie médiane, se détache un calot de soie noire encerclé d’un rang de perles. La naissance de ses cheveux est presqu’entièrement dissimulée. Une mante de gaz d’or s’attache à l’arrière du calot et tombe sur la traine de la robe. Ses chaussures aux talons hauts et aux bouts carrés sont bien en évidence. Des bouts qui se prolongent bien au-delà des orteils. Munie également de lunettes noires, Grann Brijit s’impose en vraie impératrice des cimetières.
« Dans ce décor de stèles, d’urnes, de croix et de sarcophages, les deux prestigieux dirigeants du royaume des morts accueillent, nuit et jour, les vivants et les défunts qui frappent à leurs portes. Ils reçoivent les morts à l’Orient et les vivants à l’Occident. Ceux et celles qui atteignent le levant entrent dans la lumière. Ceux qui sont reçus au couchant baignent encore dans les ténèbres d’ici-bas.
« La troisième étape pour Karol Vatula, c’est sa rencontre avec Papa Loko, le double syncrétique de Saint-Joseph. Ce dieu se caractérise par son costume d’allure ecclésiastique; une longue tunique mauve, genre calasiris, portée dessus une aube blanche. Les manches de l’aube dépassent légèrement celles de la tunique. Cette espèce de gonne à larges manches traduit toute l’austérité qui se dégage du personnage. Muni d’une canne à la main droite, et d’une tige de lys à la main gauche, il symbolise à la fois le rude travailleur au terme de sa journée et l’austère protecteur des vierges, de la veuve et de l’orphelin.
« Nous voici maintenant chez Maȋtre Agwe, le plus vigoureux des dieux. Cette divinité trône dans un somptueux décor sous-marin. Il est doté de membres très forts lui permettant de dompter les créatures océaniques les plus redoutables, et de les apprivoiser au besoin. Les flots les plus agités sont pour lui de fines gouttelettes d’eau, et les navires sous-marins, des moustiques quelquefois ennuyants.
« Son costume est coupé dans un drap de pure soie brochée, comme les écailles des poissons; une sorte d’ostérin de couleur pourpre, fabriquée dans les Cyclades. Rayée horizontalement de rangées de brocart, cette longue dalmatique à larges manches est décorée de l’insigne des Amphibiens. La principale pièce du vêtement, c’est une écharpe jetée en travers de la poitrine à la manière d’un baudrier. Elle est agrémentée d’un collier de corail aux mailles trapézoïdales, comme les ousekhs de l’ancienne Égypte.
« Dans le royaume de Maȋtre Agwe, les façades mouvementées des édifices sont comparables à de grands retables. Les décors peints et sculptés imitent les plus beaux coquillages։ coraux rouges, coquilles Saint-Jacques, ammonites et tant d’autres espèces d’artefacts dans les profondeurs marines.
« La façade à redans de son riche palais compte trois cents soixante-cinq portes, comme dans celui du Plateau Central en haute terre. C’est là qu’accède au monde des vivants l’initié revenu du royaume des morts; une porte pour chaque jour de l’année.
« Le temple de Maȋtre Agwe est construit selon l’ordre dorique ancien։ place à la fantaisie créatrice, à la flexibilité des lignes, à la richesse et la profusion des éléments décoratifs. Ce goût de l’expression réaliste reflète, non seulement la joie e vivre, mais aussi une certaine invitation à l’amour.
« Le domaine de Papa Zaka est remarquable par son péristyle à colonnes doriques. Il s’élève dans les confins d’une forêt dense, plantée de végétaux xérophiles, d’arbres fruitiers de toutes les saisons. C’est là que se développa l’art des steppes, au cours de l’âge du bronze et du fer.
« Le palais de ce dieu-agriculteur, qui marche sur la planète Mercure, a pour base des caryatides, comme celles des principautés adja au Dahomey ancien, ou de l’Érechthéion sur l’Acropole à Athènes; une expression réaliste, caractérisée par des corps de femmes, marquant la nette consécration de la sculpture au souffle de vie et à la force de production agricole. Des amphores à figures féminines, richement décorées et remplies de fruits rares, qui n’existent plus sur terre, sont placées sur la poutre frontale du temple, pour marquer le caractère multiplicateur de l’ordre dorique։ la fonction similaire de reproduction chez la femme et les plantes.
« Quand il est vêtu de grosse toile, en compagnie des pauvres gens, portant chapeau de paille et dyakout, Papa Zaka se fait appeler Kouzen. Sous cette apparence, il réclame des boissons locales fortes, plus précisément le tafia et le « clairin », fraîchement sortis des guildiveries.
« Cependant, lorsqu’il se pare de ses plus beaux atours, c’est-à-dire quand il s’introduit dans un milieu huppé, pour chevaucher des gens riches, il affiche un air très prestigieux, et sait même confondre ceux et celles qui, par snobisme, feignent de ne pas le reconnaitre. Dans de tels cas, il réclame du rhum, du vin, de la vodka, et bien d’autres boissons dispendieuses.
« Quant au dieu Simbi-Makaya, très proche de Papa Zaka, dans sa nature, son palais est orné de reliefs et de sculptures rupestres, rappelant l’apogée des arts méso-américains. Doué d´un caractère à la fois commémoratif et votif, cet art traduit, de manière très expressive, la force des divinités vodou.
« L’intérieur du palais de Simbi-Makaya est garni de peintures sur feuilles de palmiers. Ici et là, des têtes humaines et d’oiseaux s’ordonnent avec grâce et harmonie. L’enceinte du sanctuaire est divisée en galeries, salles hypostyles et bassins sacrés où se jettent, tout habillés, des dévots et dévotes, en quête de bien-être personnel.
« Dans le vodou, l’eau symbolise à la fois le passage et le transfert magique։ deux signifiants pour, d’une part, obtenir l’autorisation spéciale d’entrer dans le saint des saints, et d’autre part, pour mériter la grâce des dieux. Certaines vierges, comme Grann Bossine, Grann Alouba et Grann Silibo, se joignent souvent à la Simbi-femme, la reine des eaux, mi-femme, mi-poisson, pour des transferts d’états, en période de guérison. S’agissant de Marinèt-Pyechèch, elle est reconnue pour être la vierge terrible des points brûlants de l’eau.
« Là où Karol Vatula s’est émerveillé le plus, c’est chez les deux Erzulie, pour des raisons ayant strictement rapport avec l’amour.
« Erzilie Dantor et Erzulie Fréda résident dans un magnifique palais, jamais vu sur la terre ferme. Sa construction remonte à l’époque timuride; un foisonnant décor sculpté, une puissante expression picturale. Les portiques ouverts aux quatre vents du désir, sont ornés de reliefs narratifs. Des figurations impériales occupent tout le frontispice de l’imposant édifice; des représentations hiératiques, pareilles à celles des mystères d’Isis.
« Tributaire de l’art périptère, cette merveille d’architecture emplit quasiment tout l’espace de l’immense Jardin des Amours, bordé de jade et d’améthyste, dédié à Aphrodite, la déesse grecque des passions ultimes et consommées. Une conception architecturale qui traduit l’équilibre et la perfection recherchés par les constructeurs, dont le souci majeur consistait à symboliser la parfaite parité mystique entre les deux grandes déesses qui habitent cette somptueuse demeure.
« Sur toutes les mosaïques de pavement se détachent d’imposantes images virginales d’une beauté envoûtante inspirée d’Aphrodite. Des vitraux, d’un coloris chatoyant, montrent des figures modelées; véritables verrières consacrant la puissance des arts sacrés dans les mondes binaires, et dont les reflets sur Terre sont assurés par des êtres de lumière qui les transmettent aux humains, de la même manière que Prométhée leur avait apporté le feu.
« À l’exemple d’Isis, en plus d’être une mère idéale, Erzulie Dantor, qui n’est autre que Bohio-la-Mère, donne la vie. Comme Isis, cette noble reine égyptienne, qui fut à la fois sœur et femme d’Osiris, Erzulie est la Maîtresse de ses dévots et dévotes; le culte qu’ils lui vouent va jusqu’aux épousailles jalousement désirées et entretenues.
« Les deux Erzulie font la paire sur le plan des passions mystiques, en réclamant des offrandes parfumées, des bijoux et des pierres gravés à leurs noms, et même des chambres arrangées selon leurs désirs clairement manifestés.
« Vierge au teint basané, Erzulie Dantor présente les mêmes particularités que la Czestochowa de Cracovie en Pologne, pays d’origine du pape Karol Voytila. On dit de cette image qu’elle avait échappée à la destruction, au temps des invasions barbares, et que, depuis lors, elle est l’objet d’un culte spécial à longueur d’année, en Europe de l’Est, même au temps du communisme régnant.
« Balafrée par les Causaques qui tentèrent de la détruire, cette image porte deux profondes stigmates au visage. C’est elle qui, introduite par des Polonais, dans la colonie de Saint-Domingue, personnifie Erzulie Dantor dans le syncrétisme catholico-vodou.
Mérès Weche
Artiste-peintre, écrivain, ex-professeur de Méthodologie de la Recherche, à l´INAGHEI, à l’Université Épiscopale d’Haïti et à l’École Supérieure des Sciences Politiques Appliquées, ESSPA.