Un ancien fonctionnaire sous Duvalier peine à voir ses enfants et petits-enfants au Canada - Intexto, jounal nou
- Home
- /
- Politiques
- /
- Un ancien fonctionnaire sous Duvalier peine à voir ses enfants et petits-enfants au Canada
Depuis 2015, ce nonagénaire est pris dans la poudrière de la capitale d’Haïti, Port-au-Prince, sans pouvoir visiter ses trois filles, 20 petits et arrière-petits-enfants au Canada. Ottawa lui reproche d’avoir servi le régime de Jean-Claude Duvalier ( baby Doc).
Marie Rémillot Léveillé, 95 ans, a pourtant visité le Canada au moins quatre fois avant d’être complètement interdit du territoire vers 2015 sur la base de l’ancien article 35 (2) de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés et règlements (LIPR). Et depuis, sa famille (trois filles citoyennes canadiennes et 10 petits-enfants, mais autant d’arrière-petits-enfants) pour un total de 20 Canadiens qui peinent à le voir chez eux au Canada.
M. Leveillé, un agronome de formation, est un ancien haut fonctionnaire du ministère haïtien de l’Agriculture sous le régime des Duvalier. Il a occupé les postes de sous-ministre et ministre a.i avant de quitter ses fonctions définitivement avant la chute de Baby Doc en 1986. Le 8 avril 1994, le ministre canadien de l’Immigration de l’époque avait désigné les régimes haïtiens de 1971 à 1986 (Baby Doc) et 1991-1994 ( coup d’État militaire de Raoul Cédras) comme faisant partie de l’article 35 (1 et 2)
L’ancien article 35 (2) de la LIPR se lit comme suit : « Occuper un poste de rang supérieur au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre.»
Sur cette base, et en réponse à de nombreuses interventions et demande de dispense faites par la famille de M. Léveillé au Canada, l’Agence des services frontaliers (ASFC) a recommandé dans un long rapport d’environ 800 pages au ministre de la Sécurité publique, en août 2018, de ne pas accorder la « dispense » demandée par l’intéressé. Pourtant, le rapport indique clairement que l’agronome Leveillé a visité le Canada au moins quatre fois et est retourné chez lui, en Haïti.
Son visa allait expirer en 2015 et a eu le temps de visiter ses enfants en 2012. À l’expiration de son titre de voyage, il n’a pas pu obtenir un renouvellement de la part du Canada qui estime sa présence «préjudiciable»
«L’ASFC n’est pas convaincue que la présence de M.Leveillé au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national», peut-on lire dans les conclusions du document dont nous avons obtenu copie. L’agence est allée jusqu’à exiger du ministre de préciser «les raisons » dans la mesure où il ne serait pas d’accord avec la recommandation. Et comme de fait, la dispense n’a jamais été accordée malgré les interventions de la famille auprès du gouvernement.
«C’est une situation stressante pour nous et en même temps nous sommes très frustrés parce que la première vérité, c’est qu’il n’y a aucun dossier contre lui», fait remarquer l’une de ses trois filles canadiennes, Marjorie Léveillé.
Joint au téléphone depuis Port-au-Prince, Marie Rémillot Léveillé n’était pas en effet trop bavard. Comme sa fille, il se dit très frustré de la situation, notamment dans un contexte d’insécurité aggravée et une santé fragile. «Nous ne faisons que prier tous les jours», dit-il.
Marjorie Leveillé se dit encore plus dépitée lorsque l’ASFC a suggéré à la famille d’aller le voir en Haïti comme solution au problème. Elle dit l’avoir vraiment très mal pris. « Premièrement cela nous regarde, ce n’est pas à eux de nous dire où voyager et quand voyager. Ce qu’ils nous disent en fait c’est d’embarquer tout le monde en Haïti pour que papa puisse nous voir avec toute la situation d’insécurité », s’insurge la Canadienne d’origine haïtienne.
«Quand on voyage là-bas, cela a été un stress pour mes parents. On était obligé de nous camoufler pour éviter que les gens sachent qu’ils ont de la visite de l’étranger». Sa dernière visite, seule avec son mari, remonte à 2019 et «c’était un stress énorme pour nous et mes parents aussi».
Pour justifier la décision d’interdire M. Léveillé du territoire, un agent de l’ASFC aurait invoqué à la famille le fait que l’intéressé a une maison, une voiture entre autres biens. «Comment cela il a eu tout cela dans un pays pauvre?», m’a-t-il demandé, révèle Marjorie Léveillé.
Interrogée sur l’application de la LIPR en lien avec Haïti et les dispositions adoptées en 1994, Immigration Canada indique qu’elle ne commente pas de cas particuliers. Mais «une personne peut être déclarée interdite de territoire et se voir refuser un visa ou l’entrée au Canada » pour au moins 13 motifs, dont «atteinte aux droits de la personne ou internationaux »
La porte-parole de CIC, Julie Lafortune, ajoute que «les demandes de visa sont évaluées au cas par cas en fonction des faits particuliers que présente le demandeur. Les décisions sont prises par des agents des visas hautement qualifiés, et elles sont conformes aux lois canadiennes. Un visa est délivré uniquement lorsque l’agent des visas est entièrement convaincu que le demandeur ne pose aucun risque à la santé ou à la sécurité des Canadiens».
Notons que plusieurs anciens ministres haïtiens, notamment de l’Information et de la Justice au cours de la période visée par la LIPR vivent au Canada tranquilles depuis la chute de de Jean-Claude Duvalier, en 1986.