Un bel après-midi d’été avec Dany Laferrière
La nature a souri au Festival Haïti en Folie le samedi 25 juillet 2020. Comme annoncé, dans le cadre de cette 14e édition spéciale en ligne, la causerie avec Dany Laferrière, s’est déroulée dans un cadre agréable et propice à la rêverie.
Tout s’est passé sur la terrasse de sa résidence à Montréal. C’est là que Fabienne Colas, en mode estival et festival, a rencontré l’Académicien, grand supporteur de « Haïti en Folie », pour discuter de son dernier ouvrage à date : L’exil vaut le voyage, publié en juin 2020. C’est son 32e roman, soit le 3e livre dessiné.
Dans une ambiance conviviale, Dany, bien installé, a parlé de littérature, d’histoire, de politique…citant, comme toujours, les nombreux auteurs dont il parle dans son œuvre, ce qui confirme à la fois son talent de grand écrivain mais aussi de grand lecteur.
Dany n’était pas en pyjama, bien sûr. C’est l’été, et c’est l’après-midi. C’est le moment de savourer ce que la nature peut offrir de meilleur en termes de spectacle et de beauté, dans un pays où l’hiver est si sévère.
Ce n’est plus « le règne de l’hiver », comme il l’a écrit dans l’ « Énigme du retour », où « la neige a tout recouvert. Et la glace a brûlé les odeurs ».
D’ailleurs, il est arrivé à Montréal à une saison semblable : l’été 1976. Il était alors âgé de 23 ans. Aujourd’hui, il en a 67. Chose paradoxale : c’est après la publication de 32 livres qu’il veut être écrivain…contrairement à la culture haïtienne dont il se réclame toujours, où après la publication de 5 livres on veut être président de la République.
C’est-à-dire sa quête est perpétuelle. Le manque qui a toujours habité l’homme depuis la nuit des temps, l’habite encore, l’habitera toujours, au point que ce vide ne sera jamais comblé. C’est, bien sûr, cette quête qui lui a valu 32 titres aujourd’hui, et qui en provoquera d’autres dans les années qui suivent. A suivre…
Il parle de l’exil en toute liberté. Sans douleur ni tristesse. D’ailleurs, ce thème qui domine son œuvre, n’a jamais été pour lui que malheur et désespoir. C’est la raison d’être même de ce livre.
Il confie : « Si j’ai fait ce livre (dans faire il y a écrire et dessiner), c’est parce que j’en avais marre qu’on associe l’exil uniquement à une douleur».
Pourquoi un livre dessiné?
« Pour moi, c’est une autre manière de faire la même chose », a-t-il confié à Fabienne Colas. C’est pour lui un moyen d’être plus proche du lecteur, d’être son ami. Par la simplicité et la tranquillité de la phrase, la fluidité de l’écriture, il permet au lecteur de le comprendre au premier abord. Écrire à la main est plus intime, estime-t-il. Cependant, si l’écriture reste la même, il y a beaucoup de changements radicaux que le lecteur ne voit pas.
« Chaque livre a une couleur et une émotion différente », a souligné Dany Laferrière. Le pari de la littérature est le fait que l’écrivain ne sait rien des intentions du lecteur. Ce dernier n’est pas un client à qui il faut donner ce qu’il aime.
« On doit écrire ce qui nous touche vraiment et non répondre à des commandes », a-t-il ajouté.
C’est ce qui fait la différence entre le style du journaliste et celui de l’écrivain. Le premier, selon lui, répond à des commandes. Il reste à la surface. Il cherche la proximité, l’immédiateté. C’est pourquoi le journal dure le temps d’un jour. Mais le second va en profondeur. L’écrivain cherche la durabilité. Il peut s’inspirer d’un événement extraordinaire pour faire, contre toute attente, un livre ordinaire, comme le séisme dévastateur du 12 janvier 2010, par exemple.
Les deux formes d’exil
Il y a l’exil de l’espace et l’exil du temps, a-t-il, par ailleurs, souligné. Le premier est caractérisé par le fait de quitter un endroit où on se sentait bien, sous les contraintes d’un dictateur. Mais le second, tout le monde le partage. C’est la nostalgie du temps qui est laissé derrière. « Nous ne pouvons pas revenir à notre enfance », par exemple. Tous les écrivains sont habités par l’exil du temps, qui est lui-même habité par la mémoire. Et il n’y a pas de littérature sans mémoire, a nuancé Dany, soulignant que les bibliothèques et les livres constituent notre mémoire.
La phrase parfaite
« L’écrivain est un être d’obsession. Il écrit chaque jour le même livre différemment. Donc on n’écrit qu’un seul livre durant toute sa vie », a-t-il, en outre, affirmé, évoquant l’idée de la phrase parfaite.
L’écrivain ne connaît pas cette phrase. Ce n’est pas toujours une phrase très bien écrite. C’est le lecteur qui définit cette phrase. Des fois, c’est même une émotion parfaite : « Un été qui a connu l’hiver ». Voilà une phrase que les Québécois ont recrue comme parfaite. Elle décrit parfaitement une réalité qu’ils vivent depuis des siècles, mais que seul un petit estranger vient révéler…
La causerie a pris fin avec une longue insistance sur la lettre de Toussaint Louverture. Invité à donner lecture de quelques fragments de cette lettre qu’il a pris le soin de recopier dans le livre, Dany a exalté la bravoure du précurseur de l’indépendance qui fut, selon lui, un stratège à nul autre pareil. Une lettre dans laquelle le premier des Noirs tient tête au premier des Blancs. Toussaint Louverture, exilé au même titre que Ovide, Hugo, Mandela… (la prison étant aussi une sorte d’exil).
Si finalement l’esclavage a été aboli à un certain moment de l’histoire, le racisme qui en est le prolongement, est la dernière chose qui reste au colon d’hier et d’aujourd’hui, a conclu l’auteur de « Je suis fatigué ».